Communiqué de PEPS : Abaya, du procès d’intention à l’islamophobie

Le Conseil d’État vient à l’instant de valider l’interdiction du port de l’ abaya à l’école. Il s’agissait de déterminer si cette interdiction relève du respect de la laïcité à l’école, comme l’affirme le ministre de l’Education, ou si elle relève d’une politique raciste et sexiste, qui utilise le principe de laïcité pour discriminer les femmes de confession musulmane, comme le suppose l’association Action Droits des musulmans à l’origine de la plainte au Conseil d’État. Or, cette question n’est pas juridique, mais bien politique.

Le port de l’abaya n’a concerné que 287 jeunes filles sur les dizaines de milliers qui reprenaient le chemin de l’école cette semaine. On peut logiquement en déduire que ce tapage médiatique est utilisé à des fins politiciennes pour masquer la pénurie d’enseignants et des inégalités scolaires de plus en plus criantes, tout en caressant les fantasmes d’une droite dont le gouvernement a besoin pour obtenir sa majorité au parlement.

Mais ce coup politique pose aussi la question de la conception de la laïcité et du fameux «Faire Nation» martelé par le président Macron. Cela interroge aussi ses rapports avec la jeunesse des quartiers populaires quelques semaines après les révoltes qui ont suivi le meurtre de Nahel.

Une laïcité dévoyée par les procès d’intention

Si la loi de 1905 a constitué une avancée dans la séparation des pouvoirs civils et religieux, en protégeant toutes les personnes quelle que soit leur confession, elle est régulièrement réinterprétée, voire dévoyée.

La loi de 2004 instaure la notion de « signes ostensibles», très subjectifs, pour limiter au maximum les références religieuses. Le principe de la laïcité est inversé : au lieu de protéger toutes les confessions, il s’agit de supprimer leur existence dans l’espace public.

La note de service du ministre Attal recommande d’évaluer « l’intentionnalité » de la personne qui porterait un vêtement non religieux mais qui pourrait avoir une connotation religieuse. Avoir une intention devient donc hors la loi. Cette conception de la laïcité est bien éloignée du cadre protecteur des origines, et peut être dénoncée comme une forme de police de la pensée.

Le vêtement incriminé, l’abaya, est un vêtement traditionnel féminin venu du monde arabe. Il est porté par des femmes de confession musulmane mais n’est pas considéré par l’Islam comme un signe religieux. Les rares jeunes filles qui décident de le porter en France connaissent bien sûr la connotation religieuse de ce vêtement, mais elles devraient être autorisées à la porter, précisément par respect du principe de laïcité qui est sensé protéger les personnes possiblement victimes de discriminations : cette tenue n’est pas une tenue religieuse et chacun est libre de se vêtir comme il ou elle le souhaite dans le respect du droit.

L’ordre, l’ordre, l’ordre

En contrepoint, cette mesure rappelle le tapage médiatique fait au croc-top il y a deux ans: le corps des jeunes filles doit être contrôlé. Pute ou soumise, il est difficile, encore aujourd’hui, de sortir de cette conception binaire de la femme miroir des peurs et des fantasmes du Patriarcat. Selon nombre de détracteurs de droite comme de gauche, la jeune fille en abaya serait l’objet de la pression de ses frères et de son père, potiche incapable de prendre ses décisions seule, et il faudrait la sauver des griffes de l’intégrisme islamique.

Et si le choix vestimentaire de ces adolescentes relevait plutôt du besoin de s’affirmer, d’exister en tant qu’individu dans la totalité de son identité, et d’afficher tout particulièrement les éléments que la société ne souhaite pas voir ? Les ados qui portaient les blousons noirs, les cheveux longs, ou les T-shirt délavés ne suivaient ils pas la même logique ? Il y a dans toute génération adolescente l’expression d’une subversion qui interroge les conservatismes.

Aujourd’hui cette subversion peut s’exprimer par le port de l’abaya, précisément parce que des millions de femmes musulmanes françaises sont effacées de l’espace public. Si pour certaines jeunes filles l’abaya peut être portée en étendard, c’est que cette tenue exprime un refus de l’oppression.

Refus de l’oppression de genre, c’est aussi l’expression du refus de l’oppression de classe. Fruits de l’héritage colonial français, 4e génération d’une immigration de travail venue d,’Afrique après les décolonisations, nombre de familles de confession musulmane vivent dans les quartiers populaires. Les révoltes qui ont eu lieu après le meurtre de Nahel ont réveillé chez les classes moyennes et privilégiées la peur du jeune, de la racaille, de l’Arabe. Plus ou moins consciemment, l’abaya à l’école suppose l’existence fantasmée de femmes musulmanes qui refusent de « s’assimiler », et qui engendrent des voyous ou des poseurs de bombes. Il n’y a qu’a relire la haine qui s’est abattue sur les réseaux sociaux à l’encontre de la mère de Nahel pour prendre conscience de la violence qui s’exerce sur les femmes des classes populaires, surtout si elles sont musulmanes. A l’opression de genre et de classe s’ajoute l’islamophobie.

Les vieux gauchistes qui hurlent à l’opium du peuple dès qu’on évoque la religion ne prennent pas en considération que parfois, face à un Etat répressif et sans perspective politique émancipatrice crédible, l’affirmation à une appartenance religieuse est un espace de liberté et de contestation. Il serait peut-être temps pour les laïcardEs de revoir leur copie et de réfléchir à construire avec la jeunesse des quartiers un projet commun.

Faire Nation par la répression et l’exclusion

Le besoin d’une perspective politique inclusive et émancipatrice à construire ensemble est d’autant plus urgent que le gouvernement Macron, qui contribue chaque jour à fracturer un peu plus la société, a choisi d’employer le bazooka pour « Faire Nation ».

Les six dernières années du régime sont marquées par des atteintes répétées à tout ce qui peut faire commun. Après avoir confondu sciemment révolte et sédition, communauté et communautarisme, le gouvernement néolibéral prépare sa prochaine attaque : un « Faire Nation » répressif et totalitaire.

Souvenons nous des propos du président Macron contre des franges entières de la société : ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien, la sédition des Gilets jaunes, les casseurs, les violents, les émeutiers, jusqu’au délégué CGT d’EDF aujourd’hui menacé. Souvenons nous des campagnes du gouvernement contre «  l’ennemi intérieur », la cantine Hallal, les « séparatistes », contre les « écoterroristes » ou les zadistes : nous sommes tellement nombreux, pour la communication présidentielle, à refuser de « Faire Nation ! » Peut être est-ce parce que la Nation en Macronie n’a rien de désirable, engoncée entre le SNU et le flashball, le 49.3 et le désir de l’uniforme à l’école.

Cette Nation là ne voit en revanche aucun problème dans les propos menaçants de certains syndicats de police contre « les hordes sauvages » et les « nuisibles  » – qu’il faudrait de fait éradiquer comme des cafards.

Faire de l’éducation un domaine réservé de l’ omniprésident est logique : formater la jeunesse, lui imposer les filières en lycée professionnel, refuser les pédagogies actives pour revenir à la transmission du savoir de grand papa, limiter l’accès à l’éducation de qualité et aux universités, exclure les jeunes filles en abaya du service d’éducation, c’est préparer une main d’oeuvre corvéable à merci pour les besoins du capitalisme tout en offrant un débouché rentable aux écoles privées, comme en témoigne la jeune rectrice qui a quitté son poste pour diriger une école payante.

La polémique contre l’ abaya n’est qu’un élément parmi d autres d’un Etat -Nation qu’il faudra, un jour ou l’autre, remplacer par la Seconde Commune, laquelle inclura enfin l’ensemble des habitantEs dans un projet commun, égalitaire et paisible, où chacun et chacune pourra exprimer ce qu il est dans sa diversité.

PEPS, le 7 septembre 2023