
Ces temps derniers nous avons vu autour de nous nos jeunes camarades, nos enfants, leurs amiEs vivrent des séquences de mal-être puissantes, des moments de vives émotions les laissant sans énergie. Bien souvent, en dehors de notre immense amour pour eux et elles, nous avons ressenti une grande impuissance. Alors pour ne pas sombrer, nous non plus dans ces burn-out liés au travail au militantisme ou tout simplement à la vie quotidienne, nous avons cherché à comprendre….
Santé mentale des jeunes en 2025 : ce n’est pas dans leur tête, c’est le système La santé mentale des jeunes en 2025 n’est pas simplement une affaire de psychologie individuelle, mais une question profondément politique : leur détresse est façonnée par le capitalisme. Alors que les discours dominants appellent à « prendre soin de soi » à coups d’applications de méditation et de séances de yoga, la réalité est tout autre : une génération entière est broyée par les logiques implacables du capitalisme post-libéral, avec ses injonctions à la performance, à la rentabilité et à la consommation permanente.
Des symptômes personnels pour une crise systémique
Les jeunes ne vont pas mal par hasard. Leur mal-être — crises d’angoisse, épuisement, troubles anxiodépressifs — est la conséquence directe d’un système économique qui érige la compétition, l’ultra-productivité et la précarité en normes de vie. Les jeunes sont sommés de devenir des « entrepreneurs d’eux-mêmes », de se vendre, se démarquer, optimiser leur temps et leur corps, tout en étant perpétuellement évalués, notés, surveillés. Le marché du travail, saturé et incertain, transforme la formation en guerre de l’excellence et la vie en course sans fin.
Cette violence n’est pas accidentelle : elle est structurante. Le capitalisme ne se contente pas de réguler les flux économiques mais il façonne nos subjectivités, colonise notre rapport à nous-mêmes, aux autres et au temps. La santé mentale des jeunes est ainsi devenue un champ de bataille idéologique où les émotions sont centrales. L’augmentation exponentielle des enfants et adolescents diagnostiqués TDH, TDAH, autiste ou dépressif est impressionnante.
De plus, depuis quelques années, les entreprises intègrent des discours sur le bien-être, l’authenticité et l’équilibre tout en demandant une disponibilité émotionnelle constante. On attend des jeunes qu’ils et elles soient passionnéEs, motivésE, enthousiastes, y compris dans des conditions de travail précaires. : les émotions deviennent une ressource à exploiter et un critère de performance.
Un xanax, un coach de vie et çà repart
Face à la montée des troubles psychiques chez les jeunes, le système répond par une stratégie double : médicalisation des symptômes et responsabilisation individuelle. Le capitalisme récupère la santé mentale en la réifiant et en élaborant des segments de marché du bien-être.
On prescrit des antidépresseurs plutôt que de remettre en cause les conditions de vie. On culpabilise les jeunes qui « ne tiennent pas le choc », en les invitant à « travailler sur eux-mêmes », à devenir résilients, agiles, adaptables, en un mot : compatibles avec les exigences du marché.
Le capitalisme va plus loin : il récupère même les discours du bien-être et de la santé mentale pour mieux asseoir sa domination. Les entreprises se dotent de manageur du bien-être, les écoles organisent des ateliers de gestion du stress, mais aucune remise en cause sérieuse de l’organisation du travail, des rythmes scolaires ou de la précarisation massive de la jeunesse. Le soin devient un produit, le mal-être un marché, et la souffrance une externalité.
Un contrôle social travesti en soin
La santé mentale est aujourd’hui un outil de contrôle social. Sous couvert d’aider les jeunes à « aller mieux », on les rend responsables de leur propre souffrance. On les isole dans des parcours thérapeutiques individuels, on invisibilise les racines collectives du mal.
C’est une stratégie profondément politique : faire taire la colère en la transformant en pathologie.
Or cette souffrance n’est pas un simple « dérèglement neurochimique ». Elle est politique. Elle dit l’épuisement d’un monde qui déshumanise. Elle dit l’angoisse d’un avenir confisqué par la crise climatique, la montée des inégalités, la précarisation des conditions d’existence. Elle dit aussi l’urgence d’un changement radical.
Dans les années 1970, un mouvement s’était donné comme mission celui de dépsychiatriser la souffrance sociale en remettant le fou dans la vie ordinaire ; d’ailleurs ce mouvement se nommait lui-même « mouvement antipsychiatrique ». En France, les travaux de Michel Foucault1, ont été fondamentaux dans la mise au jour des relations étroites entre le savoir et sa mise en normalisation comme forme de pouvoir dans les institutions psychiatriques.
Face à la situation actuelle, des résistances s’organisent. Des collectifs de jeunes repensent le soin comme un acte politique et des alternatives émergent. Ils et elles refusent de se laisser psychiatriser pour être réinséréEs dans un système qui les détruit. Des jeunes s’engagent dans des mouvements de luttes écologiques, de justice sociale, de déscolarisation ou d’expérimentations communautaires. Ils et elles revendiquent un droit au ralentissement, à la vulnérabilité, à la désobéissance, à la solidarité et l’entraide face aux injonctions de réussite capitalistes.
Ils et elles réclament des lieux d’écoute autogérés, des espaces non marchands : de vraies alternatives concrètes au capitalisme post-libéral.
Politiser, à nouveau, la santé mentale, c’est nommer les causes réelles du mal-être : exploitation, aliénation, injustice sociale et oppressions identitaires. C’est lutter contre un système qui rend les gens malades pour mieux les faire taire. C’est se battre pour un monde où la santé n’est pas subordonnée au profit, où les existences ne sont pas sacrifiées sur l’autel de la performance.
La santé mentale des jeunes n’est pas un problème à traiter dans le silence des cabinets de conseils, les bureaux d’ingenerie ou à gérer dans les RH des entreprises. C’est un cri collectif, un refus, un signal de rupture. Entendre et écouter ce cri, ouvre la voie à une transformation radicale de nos sociétés. Il est grand temps.
1 Histoire de la folie à l’âge classique. Paris : Editions Gallimard. 1976