Pour une écologie de rupture

La situation politique et nos objectifs

Novembre 2019

I – La situation politique

1. Face à la crise sociale écologique, une écologie du droit à l’existence

Le constat est connu, : dérèglement climatique, 6ème extinction des espèces, crise de la biodiversité, crimes industriels, périls nucléaire et chimiques, pillage des ressources… C’est l’existence même de l’humanité civilisée qui est menacée par les effets de la mondialisation capitaliste patriarcale et productiviste. A l’ère du capitalocène, les crises sont devenues à la fois sociales et écologiques. Nul doute, hors les climato-sceptiques, que l’on est entré dans une période d’accélération des destructions des écosystèmes et de nos conditions de vie. L’écologie n’est plus un luxe mais une question de survie. La lutte de classes aujourd’hui, ne porte plus seulement sur la distribution des richesses et le niveau de vie, mais tout autant sur la défense de la vie sur terre, menacée par les forces destructrices du capital. La contradiction principale est entre terrestres et classes dominantes destructrices, car les acteurs non humains sont devenus parties prenantes de la lutte, comme le résume bien le slogan des zadistes : nous ne défendons pas la Nature, nous sommes la Nature qui se défend.

Mais cette contradiction a un contenu de classe. Ce sont les populations les plus pauvres dans le monde comme en France qui sont d’abord menacées par les crises sociales écologiques. Défendre tous les écosystèmes et le vivant face à « l’effondrement » suppose de procéder à des alliances de classes et de gagner une majorité sociale, politique et culturelle. Car cette crise sociale et écologique est aussi une crise des inégalités. Les inégalités environnementales se conjuguent avec les inégalités sociales. Ce sont les peuples autochtones qui subissent le plus l’extractivisme ; ce sont les quartiers populaires qui sont les plus exposés aux crimes industriels ; ce sont les paysans et les ruraux qui souffrent le plus des conséquences du glyphosate et des pesticides. Cette lutte pour la défense de sa dignité de sa terre, de son village, de son quartier, donne tous son sens aux révolutions par en bas, à l’expression d’une souveraineté populaire écologique.

Ce qui caractérise la situation mondiale c’est le développement et l’ancrage de mouvements sociaux enracinés dans les territoires : au Chiapas, au Rojava, à Hong Kong, au Soudan, en Catalogne , en Algérie., au Chili… Depuis 25 ans les révolutions citoyennes d’Amérique latine, le printemps arabe, les révoltes paysannes, le mouvement climat, les ZAD ou encore le premier mouvement social écologique populaire en Europe, celui des Gilets Jaunes, n’ont cessé d’opposer à la mondialisation capitaliste, le refus des peuples de s’adapter au Nouvel Ordre Mondial, celui des multinationales et des Etats autoritaires. Trois exigences communes à ces mouvements émergent : le droit à une vie bonne et digne, le droit au respect face au mépris des dominants, le droit à décider et à s’auto-organiser.

2. Les trois écologies

L’écologie politique après le républicanisme, le socialisme est le nouveau terme de l’émancipation. Mais comme les idéologies du passé, le mot ne résume pas à lui seul le contenu. De même que social démocratie, social libéralisme, communisme s’opposaient, que

le républicanisme à la sauce thermidorienne n’avait pas grand chose à voir avec le robespierrisme, le blanquisme ou la république de Jules Ferry, l’écologie est divisée socialement, idéologiquement, politiquement. Nous assumons la division de l’écologie politique réunies jusqu’à il y a quelques années dans une écologie « consensuelle » dont les Verts puis EELV furent le creuset. Le paysage politique de l’écologie se clarifie. Hors l’éco fascisme, trois visions de l’écologie sont maintenant clairement identifiées : si elles sont d’accord sur l’urgence et la constatation des conséquences de l’empreinte humaine sur la Terre, elles n’en tirent pas les mêmes conclusions.

La première, « l’écologie » libérale est une écologie d’en haut, une écologie fondée sur le marché et l’imposture du capitalisme vert et du greenwashing. Pour ces écolos libéraux, ces éco-tartuffes, réunis autour du macronisme , il s’agit clairement d’utiliser le capitalisme vert pour sauver à la fois le système et préserver les conditions de vie de ceux qui en bénéficient.

La seconde, la sociale démocratie écologiste ou écologie d’accompagnement (la majeure partie d’EELV, Place Publique, le PS …), il s’agit d’aménager le capitalisme en l’écologisant pour organiser un compromis historique entre le capitalisme vert et le vivant. Cette écologie peut s’appuyer sur le Pacte Hulot Berger qui lui donne une base sociale importante. EELV a la prétention de réunir toutes les écologies en un parti unique. Elle ne fera que construire la sociale démocratie écologique sans avoir les moyens de ses prédécesseurs durant les trente Glorieuses. La « ligne Jadot » a d’ailleurs une apparence, l’autonomie, mais une réalité, un néo centrisme qui la rapproche de l’écologie libérale telle qu’elle s’applique en Allemagne ou en Autriche. Plus « l’écologie de la lutte des places » s’approche du pouvoir, plus elle multiplie les alliances avec la droite de gouvernement.

La troisième écologie est une écologie de rupture et de transformation, une écologie populaire et sociale pour qui il n’y a pas d’autres solutions que la lutte pour la survie prise en main par les classes populaires. Il s’agit d’organiser la sortie du capitalisme pour sauver l’humanité en s’appuyant sur les classes populaires, premières victimes de l’effondrement qui vient. C’est pourquoi nous avons besoin d’une référence centrale adaptée aux mutations du capitalisme de notre époque. Cette alternative c’est l’écologie de transformation qui se situe dans la continuité des valeurs du mouvement populaire : les sections sans culottes de 89, les Communards, les révolutions des années 20, la guerre d’Espagne, les acquis du CNR, de Mai 68, de l’ensemble du mouvement autogestionnaire…. L’écologie populaire et sociale est pour le moment dispersé à travers ses multiples tendances mais elle a les mêmes valeurs et les mêmes objectifs. Pour la réunifier, il s’agir de lui donner un nouvel horizon, un projet de société, un nouveau programme qui s’appuie sur la rupture avec le capitalisme, une nouvelle stratégie.

II. Pour une stratégie de front populaire écologique

Face au bloc bourgeois constitué par Macron, nous devons opposer un nouveau bloc populaire qui rassemble les classes moyennes à capital culturel aisé et les classes populaires dans les zones ultrapériphériques, rurales et les quartiers populaires. Ce nouveau «Front Populaire écologique» s’apparente à celui de 1936 par plusieurs aspects :

l’urgence antifasciste. Comme dans les années trente, la crise du capitalisme pousse dans les bras du fascisme ou des intégrismes une partie des classes populaires déboussolées par l’incapacité des « élites » à assurer un minimum de sécurité. L’ordolibéralisme engendre une politique de répression par l’Etat des classes populaires et de toutes les formes de contestation.

l’urgence sociale écologique, dont l’enjeu est devenu la survie de l’humanité et des écosystèmes dont les humains sont partis prenantes. C’est pour cela que son centre de gravité est constitué par le mot d’ordre : « fin du mois, fin du monde, même combat ». Nous ne résoudrons pas cette crise systémique par la fuite en avant du capitalisme (transhumanisme, géo-ingénierie, intelligence artificielle, ubérisation et capitalisme de plateforme), par la croissance verte, ou le recours à la contrainte, l’autoritarisme, la dictature, mais par la radicalisation à tous les niveaux de la démocratie.

La révolution par en bas suppose une stratégie de Front populaire écologique reposant sur :

1. les Assemblées Populaires locales

Celles ci ont une triple tâche : être un contre pouvoir permanent dans les communes, que ces assemblées aient ou non constitué des listes communalistes, constituer un espace d’entraide et de solidarités locales en construisant des alternatives socio écologistes au niveau économique (magasins pour rien, SCIC foncières, circuits courts, monnaies locales….) Cet embryon de pouvoir populaire met en pratique l’autogestion dans la vie quotidienne. Ce sont des habitant- e-s qui construisent leur pouvoir d’agir en étant à l’initiative de ces listes communalistes, les formations politiques s’y agglomérant. Ce contre pouvoir s’appuie sur l’éducation populaire : universités populaires, cafés citoyens…

2. Un Front Populaire de débordement des institutions

Organiser le pouvoir destituant en développant le blocage de l’économie, des grands projets inutiles et climaticides, de l’extractivisme, et la désobéissance civile. Les actions d’Extinction Rebellion et celle des Gilets Jaunes permettent de dépasser la contradiction violence / non violence. Le blocage est une stratégie d’affrontement avec l’Etat qui le déstabilise. La désobéissance civile permet d’impliquer personnellement le maximum de personnes qui sont conscientes de leur action. A l’époque où les lieux de production sont atomisés, c’est la circulation et la distribution des marchandises qu’il s’agit de bloquer.

Multiplier les ZAD ; Les ZAD sont des zones de construction de Communs. La ZAD permet de redéfinir les rapports de propriété. Les communs ne se résument pas à la défense des biens communs, mais sont d’abord l’implication de chacun dans la construction de communs. La ZAD est un commun qui met en application les idées et les valeurs de l’écologie sociale à l’échelle locale.

Développer la capacité d’autonomie sociale et la relocalisation contre la gentrification, la métropolisation et la désertification des territoires

Renforcer la puissance partagée d’agir des classes populaires par la coopération des luttes : une entraide qui réalise l’interdépendance entre les luttes ; la construction, ici et maintenant, d’une société émancipatrice qui organise un mouvement de luttes contre toutes les formes de souffrance. La désobéissance civile va de pair avec le renforcement de la capacité du pouvoir d’agir collectif.

Organiser le pouvoir constituant des populations de l’échelle locale au niveau transnational (referendum, élaboration de lois, confédéralisme…)

3. Construire une Convergence Anti Productiviste alternative au Pacte Hulot Berger.

Cette coalition s’apparenterait à une fédération pour une coopération des luttes et une mutualisation des expériences alternatives et des productions artisanales. Elle pourrait regrouper les forces sociales soutenant l’écologie de rupture et de transformation. Le mouvement social écologique doit prendre conscience de sa force et se retrouver au delà des marches climat et des actions sectorielles (pesticides…).

Cette nouvelle alliance ne peut plus être dépendante des classes moyennes des mégapoles mais doit rassembler celles et ceux qui représentent le prolétariat moderne : précaires, fractions de la classe ouvrière industrielle, petits fonctionnaires, paysans, travailleurs intellectuels. Les acteurs de cette Convergence sont constitués par tous les mouvements écologistes, syndicats de salariés, mouvements de chômeurs et de précaires, Gilets Jaunes, associations, mouvements issus des quartiers populaires, qui luttent pour l’accès aux droits pour tous et aspirent à une démocratie écologique.

Nous ne refusons pas à priori les alliances politiques. Nous soutenons ou sommes parties prenantes de la mise en place du collectif national pour le référendum ADP, des collectifs contre les violences policières ou sur les retraites, mais nous proposons dans l’esprit des Marées Populaires Anti Macron, la création d’un Comité National de liaison ouvert à tous les mouvements qui le souhaitent. Le préalable n’est pas l’accord entre appareils. Il est de construire les conditions de contre pouvoirs à partir des territoires, de favoriser la construction de rapports de forces et les coalitions entre les mouvements sociaux et les forces politiques.

Il faut que nos apprenions à nous désintoxiquer de la présidentielle qui cannibalise la politique et met les forces sociales à la remorque des entrepreneurs politiques. C’est pourquoi l’alternative doit s’exercer de bas en haut ; des Assemblées communalistes à l’exigence d’une Assemblée Constituante. Quand les Gilets Jaunes demandent la démission de Macron ou le RIC, ce qu’ils revendiquent en fait c’est le droit à décider, c’est l’autogouvernement.

III- Nos tâches

1. Créer un pôle politique de radicalité écologiste. C’est en ce sens que l’Appel pour une Constituante de l’Ecologie Populaire et Sociale comme cette Assemblée des 9 et 10 novembre sont d’abord l’expression d’un processus. Rien n’est verrouillé, ni le programme, ni le projet, ni le fonctionnement du mouvement. Tout commence avec un seul objectif : créer une nouvelle écologie à la hauteur du défi de ce siècle, une écologie anticapitaliste, décroissante, antiraciste, écoféministe, fondée sur l’écosophie issue des trois écologie sociale, mentale et environnementale chères à Félix Guatarri. Notre mouvement doit mettre en place deux chantiers :

Un projet de société de bien vivre et de décroissance choisie : La société écologiste telle que nous l’entendons repose sur plusieurs concepts indissociables tels que les communs, l’écoféminisme, l’autogestion, la décroissance choisie, le bien vivre, l’autonomie, la sobriété et la simplicité volontaire, la construction de formes politiques non étatiques comme le communalisme et le confédéralisme démocratique. Nous devons rendre lisible ce projet et pas seulement dans le discours mais dans le “faire ensemble” : dés maintenant à travers les pratiques des coopératives de production et de condommation, des magasins pour rien, des Maisons du Peuple, des ZAD, l’économie sociale et solidaire, de toutes les formes d’entraide concrètes.

– Un programme de rupture et d’urgence écologique

L’heure n’est pas à la transition mais à la rupture car l’urgence est de chercher les voies pour sortir du capitalisme, pas pour l’aménager en le verdissant. Il faut en particulier redéfinir une politique de l’économie écologique et oser mettre en débat les hypothèses de l’instauration d’un Revenu minimal d’existence ou de l’extension d’une sécurité sociale intégrant la cotisation salariale, de l’extension de la gratuité et de zones d’autosuffisances et d’autonomie sociale, de l’anti utilitarisme… Pour réaliser ces objectifs nous devons lancer des Tables Thématiques, travaillant avec les lieux de recherche, les revues, les fondations ou Instituts aux marges de nos mouvements.

2. Construire un mouvement utile

– Prioriser notre intervention : Pour repolitiser l’écologie par le bas et transformer la composition sociale de l’écologie, la mobilisation contre les crimes industriels tels que l’amiante, les sites Seveso, les usines polluantes, les lieux de stockage de déchets industriels ou radioactifs (Bure) sont des espaces essentiels de mobilisation. Sur les thèmes, la gratuité des transports, les pesticides, les Grands projets inutiles et le mouvement de la justice climatique sont des axes essentiels de notre action. Mettre notre projet de société en acte en développant les initiatives citoyennes (circuits courts, coopératives, magasins pour rien, monnaies locales…)

– Municipales. Nous soutenons la constitution de listes d’habitant-e-s qui construisent leur pouvoir d’agir en étant à l’initiative de ces listes communalistes, les formations politiques s’y agglomérant. Nous diffusons un guide Communaliste utile aux listes en constitution et nous soutenons les initiatives du collectif « Changer de Cap ». Nous participerons à la rencontre nationale des listes citoyennes de Commercy. Pour soutenir le processus communaliste, nous créerons avec tous les élu-es qui le souhaitent un Réseau d’élus territoriaux pour l’écologie politique et sociale.

– Pour une écologie contre toutes les dominations, nous devons donner une place prioritaire aux classes populaires dominées, racisées, invisibilisées ou précarisées. Nous devons développer des réseaux externes – internes au mouvement et disposant de leur autonomie : réseau contre les crimes industriels, réseau stop précarité, réseau d’artistes écolos, réseau antiracistes pour la justice environnementale, réseau écoféministe, mouvement de jeunesse pour la lutte climatique, réseau écosyndical…Nous ne voulons pas construire un parti ou un groupuscule de plus, mais être un mouvement politico-social.

– Etre une Ecologie sans frontières, une écologie monde. C’est pourquoi nous soutenons les peuples du Rojava, du Chiapas, de la Catalogne, de Hong Kong, d’Algérie, de la Palestine, du Chili… avec les populations issues de ces pays pour leurs droits démocratiques, contre l’injustice sociale et pour le bien vivre. Nous soutenons aussi la lutte des peuples des dernières colonies françaises et de ceux de l’hexagone pour leur droit à l’autodétermination et à la défense de leur culture régionale. Nous favorisons les conditions d’un regroupement de l’écologie populaire et sociale au niveau international.

3. Construire un mouvement efficace adapté à la politique de notre temps :

En créant nos propres médias (Web télé, radio, réseaux numériques, journal…) ;

En organisant un centre de formations et une fabrique de production d’idées pour transmettre la mémoire historique aux jeunes générations et des outils de formation : brochures, centres de formation à distance (MOOC), stages.., pour mutualiser les expériences alternatives (fiches…)

En renouant avec la fonction d’éducation populaire grâce à diverses initiatives comme celle d’Emancipation Collective afin de créer un réseau de discussions politiques dans des lieux variés pour toucher le public le plus large possible.

En étant un centre d’initiative politique proposant des initiatives unitaires, des propositions politiques adaptées, en étant une organisation ouverte aux débats et aux partenariats avec d’autres forces politiques sans instrumentalisation.

Nous nous inscrivons dans une double démarche : développer notre courant écologiste anticapitaliste et contribuer à l’émergence d’un vaste mouvement anticapitaliste et autogestionnaire, nécessairement unitaire. Notre tâche est immense. Nous sommes dans une période de grands bouleversements. Comme à l’époque de Gramsci « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres». Comme le disent les Assemblées des Assemblées des Gilets Jaunes: « Pour le pouvoir du peuple, pour le peuple, et par le peuple ». L’écologie radicale est à la croisée des chemins. Elle ne peut pas regarder ces mouvements en spectateur. Seuls l’alliance de celles et de ceux d’en bas peut transformer la colère populaire en une force politique articulant justice sociale et justice écologique. Construisons l’écologie populaire et sociale Comme le disait Aimé Césaire, “ c’est l’heure de nous mêmes”!