La décision du Conseil municipal de Grenoble de ne plus discriminer l’entrée des piscines selon la longueur des maillots est une victoire pour les droits des femmes, la lutte contre l’islamophobie et la transphobie, l’application d’une laïcité conforme à l’esprit de la loi de 1905 et l’auto-organisation populaire. Dans les faits, comme l’avait mis en avant le Syndicat des femmes musulmanes (1) organisées au sein de l’Alliance citoyenne (2), ce règlement discriminait les femmes qui désiraient se baigner sans haut de maillot mais aussi les femmes, en particulier musulmanes, qui souhaitaient se couvrir davantage. Ce règlement entraînait discriminations et vexations notamment pour des mères de familles qui ne pouvaient accompagner leurs enfants dans ce service public.
Les réactions à cette victoire en disent long aujourd’hui sur les impasses intellectuelles et la déconnexion vis-à-vis des milieux populaires d’une grande partie des commentateurs médiatiques et des dirigeants politiques y compris à gauche et au sein de la NUPES. Les premières concernées se sont retrouvées coincées, comme elles l’ont elles-mêmes déploré, entre les « machos et les fachos » leur assénant de fausses leçons sur la liberté, le féminisme et la laïcité.
Un coup médiatique du maire de Grenoble ? Une dérive communautariste d’un des leaders nationaux d’EELV ? Le haro sur un homme dit en creux l’impensable, que le populaire n’ait pas besoin de césars ou de tribuns pour gagner et la méconnaissance d’une mobilisation qui a commencé dès 2018 : une lutte imaginative, courageuse, auto-organisée, sur des bases non-violentes, de femmes jusque-là éloignées pour la plupart de l’action militante. Cette auto-organisation a bousculé le pouvoir politique qui – Eric Piolle en premier – l’a longtemps traitée par le mépris et l’insulte (l’Alliance citoyenne a été assimilée à l’Islam politique) : nous ne gagnerons que ce pour quoi nous nous battons. La démarche non-violente n’a pas seulement permis la victoire mais aussi de faire évoluer les représentations des adversaires.
Nous devons aussi saluer la position de certain.es éluEs de ne pas rester dans des positions dogmatiques, mais d’avoir pris le temps de se renseigner sur la loi, le droit, rencontrer les premières concernées, voir ce qui se fait dans d’autres villes et pays et construire un discours cohérent et intelligent.
Une atteinte aux droits des femmes ? Le nouveau règlement, en ne donnant plus de limites à la longueur des vêtements de bain, redonne aux femmes la liberté de choisir, contre des hommes qui décidaient ce qui est décent ou non. C’est aux hommes d’éduquer leur regard, pas aux femmes de se justifier de leur rapport à leur corps : #MonCorpsMonChoixMonMaillot comme le dit le slogan de la campagne. Face aux hommes et à certaines femmes qui pensent que les musulmanes ne peuvent qu’être manipulées – quand bien même elles se battent avec courage contre le double front d’hommes musulmans sexistes et d’hommes non-musulmans islamophobes (et souvent sexistes) – il est bon de rappeler comme l’a fait une centaine de groupes féministes et anti-racistes intersectionnelles que « le féminisme qui ne défend que les droits des femmes cisgenres blanches et bourgeoises n’a aucune valeur sinon celle d’offrir un alibi aux décisions réactionnaires et colonialistes » (3).
C’est aussi une victoire contre la sexualisation du corps des femmes de les autorisant à se baigner en topless : ne plus voir le haut du corps des femmes comme un objet de sexualisation mais à égalité avec celui des hommes.
Une mobilisation communautariste ? Dès que des personnes musulmanes s’auto-organisent, dès qu’elles saisissent le même bulletin de vote pour se défendre des agressions qu’elles subissent, s’y rajoute la stigmatisation, comme le subissent également les femmes, les personnes racisées, handicapées ou les personnes LBTQIA+. L’auto-organisation des premierEs concernées est non-seulement légitime – quel que soit leur genre, race, classe, handicap, expérience… – mais elle est nécessaire : « ce qui se décide sans nous se décide contre nous ». L’auto-organisation est la base de la société autogérée et conviviale que nous appelons de nos vœux. Il est aussi nécessaire de se demander : qui exclut et créé le communautarisme ? Les femmes qui veulent se baigner en maillot couvrant aux côtés de femmes aux seins nus, où les personnes qui veulent leur en refuser l’accès ? Et aussi qui sont les plus communautaristes : les femmes musulmanes ou les plus riches dans leurs quartiers gardiennés ?
Un coup de l’islam politique ? Comme dans le cas des Gilets jaunes, l’auto-organisation populaire est systématiquement stigmatisée : il suffit d’un vieux tweet maladroit pour être assimiléEs aux terroristes, d’une présence minoritaire de l’extrême-droite pour que tous les Gilets jaunes y soient réduits. Nous sommes vigilantEs et en lutte contre tous les fascismes, nous n’avons pas besoin de vos leçons de morale. Il va falloir que les dominantEs s’y fassent : le populaire est divers, la foi musulmane – comme les autres convictions religieuses ou athées – n’est pas monolithique. « LE » foulard n’existe pas, les foulards, oui. L’auto-organisation, l’alliance des dominéEs dans toute leur diversité y compris religieuse, est le meilleur moyen de faire reculer l’obscurantisme en particulier sexiste et homophobe dans les religions, comme l’ont montré les dynamiques qui ont donné hier naissance dans le christianisme à la Jeunesse ouvrière chrétienne, à l’Action catholique ouvrière, au Christianisme social protestant, à la Confédération paysanne, au Parti des travailleurs au Brésil. Cette alliance là, nous en faisons aussi le pari aujourd’hui dans l’Islam notamment avec l’institut Calem à Marseille, les mouvements musulmans féministes (comme le Syndicat des femmes musulmanes ou Lalab), inclusifs, LGBTQIA+ ou en dénonçant la dissolution scélérate du CCIF. La foi – comme l’ensemble de la culture – peut être une ressource utopique et éthique essentielle pour créer des imaginaires alternatifs à ceux de la consommation, de la croissance, de la technique et de l’hétéro- patriarcat.
Une violation de la laïcité ? Ce vote – et sa prochaine validation par les autorités administratives, n’en déplaise au préfet de région et à Darmanin – est un « stop » à l’instrumentalisation de la laïcité de 1905 à des fins islamophobes entamée par la loi de 2004 sur le voile à l’école et dont le dernier méfait est la loi séparatisme en août dernier. Rien n’interdit le port de vêtements religieux (ou considérés comme tels) dans l’espace public (ce fut explicitement rejeté lors des débats de la loi de 1905) y compris les piscines. La neutralité s’applique aux agents des services publics, pas aux usagers. Nous devons à la mobilisation de femmes musulmanes de nous avoir rappelé la lettre et l’esprit d’une des plus grandes lois de lois de la République qu’avait anticipée la Commune de Paris. Merci à elles, à nous toutes et tous de continuer ce combat.
Une perte de temps ? Une déviation des combats principaux du pouvoir d’achat et de la sauvegarde du climat ? Les discriminations quotidiennes subies par les femmes, les personnes LGBQTIA+, les personnes racisées, les musulmanEs, les victimes du racisme de classe, le validisme qui s’exerce sur les personnes handicapées, ne sont pas un front secondaire : elles sont le cœur du renouvellement de la pensée de l’émancipation dans une lecture intersectionnelle avec les questions de la classe, du capital et de l’écologie. Il n’y a pas de front principal et de fronts secondaires. Les femmes ont payé le prix fort au moment de Mai 68 en subissant cet argument « d’autorité » qui a rendu invisible le sexisme des pratiques militantes de l’époque et jusque trop souvent aujourd’hui encore. Alors oui, il s’agit de reconnaître tous ces combats et tous les niveaux de ces combats – les structures, les modes de vie quotidiens et les imaginaires – et de savoir les articuler de manière dynamique.
De ce point de vue nous ne pouvons que regretter le positionnement de nos alliéEs de la France Insoumise dont la grande majorité des élus grenoblois ont voté ou appelé à voter contre la modification du règlement intérieur des piscines. Tout comme le programme handicap de la NUPES profondément validiste et contraire aux droits de l’homme. Tout comme certainEs s’opposent à l’organisation du mois décolonial à Grenoble et en empêchent le financement par certaines collectivités. Le candidat de La France Insoumise à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, a pourtant fait de la défense des populations musulmanes discriminées un axe fort de sa campagne électorale. Dès lors, nous nous interrogeons sur les difficultés de cette organisation à se positionner clairement quand il s’agit de défendre la maison de l’écologie populaire de Bagnolet Verdragon, d’aider à l’organisation d’un festival décolonial ou les femmes de Grenoble qui s’auto-organisent pour pouvoir bénéficier de l’égalité d’accès à un service public.
Merci aux femmes, aux hommes et aux non binaires de Grenoble de nous permettre d’être super-intersectionnelles, pour l’écologie populaire et sociale de rupture.
(1) Le syndicat des femmes musulmanes
(2) Alliance citoyenne
(3) Grenoble : 100 organisations féministes pour le changement des règlements des piscines