Guerre, capitalisme et écologie : les travailleurEuses au centre de l’équation

Nous vivons un moment historique. L’ordre international se cristallise dans l’opposition entre différents blocs impérialistes, faisant courir le danger d’une multiplication et d’une intensification des conflits guerriers partout dans le monde. L’invasion russe en Ukraine, le génocide des palestiniennEs, les guerres civiles au Congo et au Soudan consacrent déjà la brutalisation généralisée de la société, que vient couronner la réélection d’un fasciste à la tête de la première puissance militaire mondiale. Progression de l’extrême droite, attaque en règle contre les libertés publiques, les personnes migrantes, les femmes ou les minorités sexuelles, et contre les personnes handicapées et âgées, avec notamment le projet de loi « Fin de vie » : dans chaque pays, les droits humains sont sur la sellette, et Amnesty International, dans son dernier rapport publié ce 29 avril, se fait le devoir de sonner l’alerte.

Cette situation n’est pas sans lien avec l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui le capitalisme. La productivité du capital et la croissance mondiale se sont largement affaissées depuis les années 1970. Dans ce contexte, le tournant néolibéral, la multiplication des attaques portées contre les conquêtes sociales du mouvement ouvrier et les délocalisations de l’industrie des pays du Nord dans les pays sur-exploités du Sud global constituaient déjà un moyen pour le capital de restituer sa rente sur l’exploitation des travailleurEuses dans le monde entier. Aujourd’hui, l’accumulation du capital est de plus en plus contrainte par les limites environnementales planétaires dans un contexte géopolitique en tension. Quant aux gouvernements bourgeois, ils buttent encore sur la résistance des peuples dont les révoltes mondiales de la décennie 2010-2020 ont témoigné d’une vigueur qui n’est pas près de s’atténuer. Pour que le capital continue sa quête de rentabilité, deux options se présentent alors : 1. Conquérir, déposséder les peuples de leurs territoires et exploiter de nouvelles ressources (d’où le retour du choc entre impérialismes de tous bords) ; 2. Intensifier la brutalisation des classes laborieuses par la remise en cause généralisée des droits des travailleurEuses. Il va sans dire que le capital n’a pas choisi entre l’une ou l’autre de ces options, il joue sur les deux tableaux et continue de nous entraîner dans sa course folle vers l’abîme écologique.

En France, l’intensification des attaques contre les travailleurEuses se traduit, au moins depuis l’arrivée au pouvoir en 2017 d’Emmanuel Macron, par une forme d’assaut final contre tous les droits sociaux qui avaient pourtant tenu jusqu’ici face à la déferlante libérale des années 1980. Les lois travail de Macron ont ainsi largement contribué à la précarisation des conditions de travail et à l’affaiblissement des syndicats dans les entreprises. La suppression des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a favorisé la recrudescence des accidents du travail (+33% depuis 2017), sans compter l’ensemble des maladies professionnelles liées à une exposition prolongée à des substances toxiques et cancérigènes, encore trop faiblement identifiées et reconnues. Les travailleurs et travailleuses se tuent littéralement à la tâche, et les ouvrierÈres sont en première ligne. On compte ainsi 2 à 4 morts par jour à cause du travail et la pénibilité professionnelle concerne deux fois plus de travailleurEuses aujourd’hui qu’en 1984. Comment espérer dans ces conditions continuer de travailler sans relâche jusqu’à 64 ans ? La dernière réforme des retraites témoigne de la volonté de la classe capitaliste de nous faire travailler plus longtemps à n’importe quel prix, voire même gratuitement ! Les bénéficiaires du RSA se voient désormais misEs au travail forcé 15 heures par semaine. Quant aux privéEs d’emploi, les dernières réformes de l’assurance-chômage ont renforcé le contrôle de leurs activités et réduit leurs indemnisations. Alors que les plans sociaux se multiplient et que progresse le nombre de privéEs d’emploi, ceux-ci se voient alors reconduits à coups de triques vers des contrats toujours plus précaires… Si tant est qu’il reste des postes à pourvoir dans leur ancien domaine d’activité. Quant aux personnes handicapées, elles sont assignées à vivre avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Comme toujours pour la bourgeoisie, la docilité des travailleurEuses doit s’obtenir par la peur du déclassement social. Alors que les travailleurs et travailleuses doivent se défendre sans relâche contre les reculs de leurs droits sociaux, ils et elles se trouvent dans une position de plus en plus délicate pour lutter également contre les ravages écologiques dont ils et elles sont les premières victimes.

 Cette même peur du déclassement social se trouve au centre de la progression de l’extrême droite en Europe comme dans le reste du monde, qui prolonge l’idéal néolibéral d’une société où les travailleurEuses seraient en concurrence les unEs contre les autres en insufflant dans cette « lutte des places » une dimension proprement raciale. Les travailleurEuses migrantEs, cibles de la dernière loi immigration et de la récente circulaire Retailleau, sans cesse harceléEs par la police et l’État, souffrent bien souvent de conditions de vie indignes, dans l’indifférence générale. Le projet fasciste de purification ethno-raciale des nations fait donc son grand retour sur la base d’un affaiblissement historique du pouvoir des travailleurs et travailleuses et, en s’en prenant à leurs organisations syndicales et à leurs droits, démontre une fois de plus son hostilité congénitale à l’égard des classes laborieuses.

Enfin, derrière la guerre sociale, l’autre guerre n’est jamais loin. Le réarmement de l’Europe face aux velléités impérialistes de la Russie de Poutine sert aujourd’hui les nouveaux coups de fouet qui s’abattent sur les classes laborieuses. La rhétorique guerrière infuse désormais dans tous les discours et dans tous les médias. L’heure est à la « mobilisation générale » !  Il va donc falloir, si on les suit, travailler encore plus longtemps pour financer « l’effort de guerre ». Finies les belles promesses de la « transition écologique » ! Nous devrions désormais travailler au rythme du son des canons.

Nous savons ce que signifie tout cela du point de vue de la catastrophe socio-écologique et des injustices environnementales qui lui sont liées. L’histoire nous enseigne que la guerre condamne autant les peuples que leur environnement. Les ravages écologiques depuis la fin de la seconde guerre mondiale sont ainsi largement redevables des mutations du tissu productif engendré par les économies de guerre[1]. Ces évolutions ont contribué à la « Grande accélération » des destructions environnementales depuis 1945. Quelle serait aujourd’hui la nouvelle accélération que nous promet ce mouvement généralisé vers la guerre, sinon un simple saut dans le vide ?

Les travailleurs et travailleuses au cœur de la solution : une écologie populaire et sociale

Nous ne pouvons entrer dans ce nouvel univers que nous propose un capitalisme ensauvagé avec les attentions courtoises de la négociation avec l’ennemi. Notre survie est en jeu, notre libération aussi. Aussi utopistes que nous voudrions bien l’être (et les utopies sont ô combien nécessaires aujourd’hui), nous n’aurions pu ainsi espérer une quelconque abrogation de la réforme des retraites à l’issue du « conclave » réuni par un premier ministre déshonoré. A ce jeu, les catholiques sont plus réalistes : leur conclave à eux ne promet pas de ressusciter le pape. 

S’il est une autre chose que l’histoire nous apprend, c’est que les conquêtes sociales sont l’œuvre du combat acharné des travailleurs et travailleuses elles-mêmes, luttant pour leur dignité et un projet de société qui leur serait propre. La résistance s’organise par le bas, avec toute l’énergie que confère l’indignation à l’égard des expériences de domination vécues, et la réjouissance de la possibilité d’un monde meilleur. Elle a pris de nombreuses formes par le passé, s’est structurée en de puissantes organisations syndicales et politiques à travers le monde, enrayant sans cesse la machine infernale du capitalisme et de l’exploitation des travailleurEuses. 

Dans le même temps, cette résistance des classes laborieuses s’est également constituée comme un moyen de limiter, voire d’empêcher les destructions environnementales générées par le capitalisme : pollutions industrielles, empoisonnement des terres agricoles et des écosystèmes terrestres aux pesticides, déforestations, artificialisation des sols, etc. Que ce soit à travers leurs organisations syndicales, leurs associations communautaires et de riverainEs ou leurs organisations politiques, les travailleurs et travailleuses se sont toujours présenté.es comme les véritables protagonistes d’un « écologisme de la classe ouvrière »[2]. Dans le cadre de la dernière grève des ouvrierÈres de l’entreprise logistique Geodis de Gennevilliers, soutenus par les Soulèvements de la Terre depuis leurs actions communes contre le projet d’aménagement Green Dock, les grévistes ne s’y sont d’ailleurs pas trompéEs : « c’est nous les écolos ! »

Dans de nombreuses entreprises des secteurs les plus carbonés, les travailleurs et travailleuses se mobilisent pour définir des projets de réorientation écologique de leurs activités. A la raffinerie de Grandpuits[3], dans la centrale à charbon de Cordemais ou encore dans les hauts fourneaux d’Arcelor Mittal, les ouvrierÈres et leurs syndicats assument un rôle de premier plan dans ce qui pourrait préfigurer demain une planification écologique auto-gérée, répondant aux besoins des classes laborieuses dans les limites des écosystèmes naturels. Jusqu’ici tenues en échec face au désintérêt des entreprises et de l’État, ces initiatives démontrent néanmoins d’une volonté profonde des travailleurs et travailleuses de reprendre en main leurs outils de production pour ne pas subir la catastrophe écologique. Nous devons leur apporter tout notre soutien !

Ces luttes éco-syndicales se développent également sur le terreau fertile des coalitions entre syndicats, associations écologistes et associations d’usagerÈres et de riverainEs. Par la mutualisation de ressources, le partage d’expertises et de pratiques militantes complémentaires, ces coalitions permettent de dépasser les blocages qui se présentent lorsque nous nous retrouvons seulEs face à l’ennemi. Elles invitent aussi à repenser nos stratégies et à mieux adapter nos outils de lutte aux situations de plus en plus changeantes auxquelles nous nous confrontons. Enfin, ces coalitions peuvent elles aussi préfigurer dans le cadre même de la lutte, la réorganisation écologique du système productif en plaçant en son cœur la libération des activités humaines de l’exploitation capitaliste du travail.

Depuis les espaces de travail, au sein des organisations de travailleurs et travailleuses, dans le cadre de la multiplication des alliances entre activistes écologistes et syndicalistes peuvent donc se dégager les prémices d’un pouvoir populaire auto-organisé comme base de l’organisation de la société de demain. 

Avec ce 1er mai 2025, nous souhaitons donc rappeler cette évidence encore trop peu énoncée :  il n’y aura pas de société écologique et démocratique sans le renforcement du pouvoir des travailleurs et travailleuses.

[1] Bonneuil C., Fressoz J.-B., L’évènement anthropocène, Seuil, 2013

[2] Barca S., « Sur l’écologie de la classe ouvrière : un aperçu historique et transnational », Ecologie & Politique, n°50/2015

[3] Hammerli N., « Raffineurs et écolos unis ».Formation et maintien d’une coalitioncontestataire à la raffinerie de Grandpuits, Les Mondes du Travail, n°29, mars 2023