La COP30 contre les peuples : pour un nouvel internationalisme climatique

La 30ème COP (Conférence des Parties signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques-CCNUCC) s’est réunie à Belém au Brésil en novembre. C’est aux portes de l’Amazonie que se sont donc poursuivies les négociations entre Etats sur les actions à entreprendre pour éviter à l’humanité et à la planète le sort funeste que lui promet l’emballement du réchauffement climatique. Chaque année l’enjeu est donc crucial. Et chaque année, la COP est l’occasion de rappeler que ces négociations représentent surtout une tentative de moins en moins crédible pour les acteurs étatiques et privés du capitalisme mondial de se donner un semblant de verni écologique et de continuer de nous entraîner toutes et tous dans l’abîme. Celle de Belém ne fait pas exception.

Et pour cause : 1600 lobbyistes des énergies fossiles et 300 lobbyistes de l’agro-industrie ont quadrillé les espaces de négociations et d’expositions de cette trentième COP pour vendre leurs « solutions » et défendre leurs « engagements climatiques » à des délégations nationales rarement insensibles aux sirènes du greenwashing. Leur proportion (1 lobbyiste pour 25 participants) est inédite au regard des dernières COP, notamment celle de l’année dernière qui s’était pourtant tenue dans le pétro-Etat de l’Azerbaïdjan. Parmi ces lobbyistes, on peut notamment trouver ceux de Petrobras, l’entreprise publique brésilienne de production et de distribution de pétrole, l’une des 100 entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre au monde. Le 20 octobre, Petrobras vient d’ailleurs d’entamer des forages exploratoires à quelques centaines de kilomètres de Belém et de l’embouchure du fleuve Amazone, avec l’aval du président brésilien Lula, qui a dans le même temps ouvert le début des négociations de la COP deux semaines plus tard. Cette collusion entre les secteurs industriels les plus destructeurs et les représentants des Etats, partageant un même intérêt au statu quo voire à l’accélération des destructions, pèse chaque année sur l’issue des négociations, et ne peut offrir aucune surprise.

A Belém donc, l’accord qui conclue les négociations de la « COP de la vérité » exclue la mention aux énergies fossiles. Sous la pression des pétro-Etats de la péninsule arabique, de la Chine, de la Russie ou encore de l’Inde, aucune feuille de route de sortie des énergies fossiles n’a été établie contrairement à ce qui avait été promis 2 ans plus tôt à la COP28. Les engagements climatiques des Etats signataires de l’accord de Paris n’ont pas été réhaussés comme ils devaient l’être. Tout au plus, la définition de nouveaux engagements se voit reportée à dans 2 ans. Quant aux mécanismes financiers de justice climatique obligeant les Etats les plus pollueurs à financer la transition et l’adaptation écologique dans les pays les plus fragilisés face au changement climatique, elle se voit bloquée par les Etats occidentaux qui rechignent à assumer leur responsabilité, préférant l’accord de prêts, et donc l’approfondissement de l’endettement des pays pauvres, à des financements non contraignants, pour des sommes trois fois inférieurs aux attentes des Etats en détresse. Les maigres avancées apportées par cette COP30 (comme la mise en place d’un mécanisme international pour la transition juste) ne comblent en rien la perte de temps criminelle que nous imposent ces négociations sous influence des intérêts capitalistes et industriels.

Les représentants des peuples autochtones du Brésil l’ont bien compris. Le 11 novembre, 300 d’entre eux tentent de faire irruption dans l’enceinte réservée aux négociations climatiques, en marge d’une grande marche des peuples autochtones pour la santé et le climat, pour dénoncer l’accaparement de leurs terres et la marginalisation de leurs revendications dans le cadre de la COP. C’est que Belém n’a pas été le simple théâtre d’une mascarade politique à l’encontre des intérêts des peuples brésiliens et de la terre entière. C’est là aussi que s’est joué le rapport de force central de notre temps. Celui qui oppose les peuples en lutte pour leur survie, leur dignité, leurs terres et leur droit aux biens communs d’un côté, et la classe sociale dominante qui ne voit dans la « transition » que la perspective de reproduction de sa domination : capitaliste, coloniale, patriarcale. 

La COP30 avait ainsi en face d’elle un puissant front social et écologique, qui s’est réuni en un large contre-sommet réunissant plus de 70 000 représentants de peuples autochtones du monde entier, de la paysannerie, du mouvement syndical, des organisations de travailleurs précaires, de la pêche artisanale, du mouvement féministe et LGBTIQIA+, du mouvement anti-raciste et anticolonial : le Sommet des peuples. Celui-ci a été organisé pour mettre à la disposition des communautés et organisations populaires délaissées par la COP30 un espace d’échange, d’entraide et de solidarité internationaliste. Ce Sommet s’est conclu par une déclaration solennelle affirmant notamment :

  • que le capitalisme et les dominations raciales et de genre sur lesquelles il repose sont les principales causes du désastre climatique, et que le paiement de la dette écologique incombe à ceux qui nourrissent ce système,
  • que les solutions discutées dans le cadre de la COP (marché des droits à polluer, financiarisation de la nature, développement des agro-carburants, transition énergétique reposant sur l’extraction de matières premières dans les pays du Sud) sont contraires aux intérêts des peuples,
  • que le multilatéralisme des négociations climatiques est un échec,
  • et que les solutions se trouvent dans la participation et la gestion populaire des politiques climatiques, la protection des terres et territoires des peuples autochtones, la mise en place de réformes agraires permettant d’assurer la souveraineté alimentaire de toutes et tous, la lutte contre le racisme environnemental, et l’entraide internationaliste.

Les peuples réunis dans le cadre de ce contre-sommet témoignent ainsi de leur volonté de s’engager dans un véritable « internationalisme populaire, avec des échanges de savoirs et de sagesses qui construisent des liens de solidarité, de lutte et de coopération entre [les]peuples ». Cette proposition n’est pas sans rappeler l’initiative du collectif international « Les Peuples Veulent » qui, dans son manifeste, appelle à la construction d’un « internationalisme par le bas » pour faire face à l’instauration progressive d’un nouvel ordre contre-révolutionnaire sur fond d’impérialisme militaire, de néocolonialisme et de backlash écologique. Que peuvent bien valoir en effet les maigres engagements climatiques des représentants étatiques réunis à Belém et quel sens peut-on donner à leur promesse d’une « transition juste » lorsque domine à l’échelle mondiale la répression des militants autochtones, paysans, syndicaux et écologiques, lorsque les fascistes au pouvoir relancent la production des énergies fossiles à tout va1 et lorsque les néolibéraux appellent à la « pause réglementaire »2 concernant les contraintes environnementales ? Les initiatives internationalistes comme celle du Sommet des peuples de Belém ou du collectif « Les Peuples Veulent » proposent une autre voie que celles que nous imposent aujourd’hui les pompiers pyromanes qui se cloîtrent dans la zone de négociation des COP du climat et qui peut être résumée en ces mots : « seuls les peuples sauvent les peuples ». 

Comme les militants autochtones à Belém, les peuples du monde ont vocation à faire irruption dans l’espace feutré du consensus climatique néolibéral et renverser la table des négociations : assemblées populaires, grèves féministes, ronds-points occupés, reprise de terres par les paysans, réappropriation populaire d’usines, ou encore luttes locales contre de grands projets destructeurs doivent redessiner le nouvel internationalisme climatique. Cet internationalisme substituerait à des négociations stériles entre les Etats, la discussion féconde entre les peuples du monde, prêts à prendre en main leur devenir. Les échanges de pratiques et d’expériences de lutte par-delà les frontières, les solidarités entre exilé.es et victimes de la répression politique ou de catastrophes écologiques, l’aide à l’extension des pouvoirs populaires auto-organisés dans chaque recoin de la planète, ou l’organisation du soutien aux grèves, blocages, occupations et résistances des peuples en lutte sont des perspectives autrement plus réjouissantes et effectives pour répondre aux enjeux du réchauffement climatique.

C’est pourquoi, en tant qu’organisation de l’écologie populaire, sociale et internationaliste, nous ne pouvons que nous associer à la déclaration du Sommet des Peuples de Belém qui se conclue par les mots suivants :

« Enfin, nous pensons qu’il est temps d’unir nos forces et d’affronter notre ennemi commun. Si l’organisation est forte, la lutte est forte. Pour cette raison, notre principale tâche politique est d’organiser les peuples de tous les pays et continents. Ancrons notre internationalisme dans chaque territoire et faisons de chaque territoire une tranchée dans la lutte internationale. Il est temps d’avancer de manière plus organisée, indépendante et unifiée, pour accroître notre conscience, notre force et notre combativité. C’est ainsi que l’on résiste et que l’on gagne. 

Peuples du monde : Unissez-vous ! Â»

  1. « Drill, baby, drill ! » (« fore, bébé, fore !) est un des slogans de la dernière campagne de Donald Trump, réutilisé à l’occasion de la signature en janvier 2025 d’un décret facilitant le forage et l’extraction des ressources gazières et pétrolières aux Etats-Unis. ↩︎
  2. Macron ↩︎