La mort de l’écologie en soi

« Il faut sauver éviter le réchauffement climatique Â», voilà une phrase morte.

Depuis 50 ans l’écologie politique s’est exprimée comme une Cassandre annonçant la chute des murs de Troie, la fin du monde vivant tel que nous le connaissons. Tout de suite prise au sérieux par le grand patronat mondial, ils l’ont d’abord moqué, puis fait taire, puis nié avant de la paraphraser, et enfin maintenant pouvoir dire « tant pis Â» il est trop tard.

La confiance dans les puissants, qu’ils soient riches ou chefs d’État, vu comme des bons gestionnaires qui finiraient par trouver leur intérêt dans la lutte contre la destruction de la nature a été l’erreur central du mouvement écologiste.

Son autre erreur qui découle de la première a été une incompréhension totale de la politique. De l’intime au planétaire, tout est une question de récit qui relie les faits supposément justes. L’intérêt qu’ont trouvé les puissants dans l’écologie, c’est une justification de leur position d’expert et de personne ayant les moyens pour répondre à l’urgence mais pas la réponse à l’urgence qui allait contre leur besoin économique

Aujourd’hui Total Â« Energie Â» est en passe de devenir le champion des énergies renouvelables et propose de s’occuper de l’emprisonnement du carbone à l’aide de sa géo-ingénierie ; Nutella explique qu’il ne fait plus de déforestation et surveille ses plantations par satellite, et le Nucléaire défendu par de nombreux et populaires lobbyistes est magiquement devenu une énergie verte à tel point qu’on en viendrait à mettre un label AB sur les bombes atomiques.

Ces deux erreurs viennent d’une pensée de l’écologie en soi, c’est-à-dire une vision surplombante de la dégradation dans laquelle se trouve les différentes composantes de la nature : l’eau polluée, nos corps pollués, la terre sans vie, l’atmosphère chargée de gaz, les espèces éteintes, les forêts brûlées, sans que cette vision n’inclue les personnes qui en parlent, les scientifiques étant dépositaire d’un constat qu’ils ne vivent pas, les parents prenant à peine conscience que leur nouveau confort leur faisait perdre un autre rapport au monde.

En gros il y a un problème avec l’environnement, mais ça ne nous concerne pas vraiment parce que l’environnement ce n’est pas nous : c’est la pelouse sur laquelle on marche, les collines à l’horizon, le corps qui abrite notre esprit. Le dualisme entre l’humain et la nature est maintenu.

Cette pensée de l’écologie en soi est une vision d’ingénieur, qui se pensent en surplomb et trace des plans et des calculs sur un papier blanc, vierge, sensé figurer la réalité. Ce n’est pas pour rien que le premier candidat de l’écologie en France a été un acteur majeur du remembrement agro-industriel ayant compris trop tard les dégâts irréversibles qu’il avait causé avec ses collègues. Cette écologie a proposé des solutions qu’elle pensait apolitique, en tant qu’une expertise sur le « vivant Â», le « non-humain Â» qui nous entoure ; elle s’est voulue une pensée pragmatique, et par la force des choses, une pensée soumise aux États et aux capitaux, qui a prônée des méthodes de soumission. Dire que cette écologie en soi était sincère va de soi, mais une sincérité déplacée produit un enfer de bonnes intentions.

Cassandre échoue parce qu’elle refuse de comprendre que son récit apocalyptique ne suscite pas l’adhésion ou la révolte et ne génère que son propre désespoir ; elle finit capturée et violée par Achille, l’ennemi de son peuple et assassin de son frère. La peur crée un vent de panique, mais elle conduit systématiquement entre les bras du plus fort et pour finir à la tétanisation.

A la fin des années 2010, tout portait à croire que le mouvement qui allait centraliser l’espace politique à venir serait le mouvement écologiste. A la suite de l’altermondialisme et du mouvement des places, des forces vives avaient remporté d’importantes victoires par des occupations empêchant des destructions. Les gouvernements, réformistes ou conservateurs cédaient du terrain et une nouvelle bourgeoisie sensible à l’environnement a financé des mouvements mondiaux autour du climat (Les jeunes pour le climat) et l’extinction du vivant (Extinction Rébellion). Un mouvement d’insurrection populaire, les Gilets jaunes, inspirés de ces méthodes d’occupation a même émergé sur la question de la répartition de l’effort écologique, refusant que les ouvriers payent pour les patrons le prix des destructions environnementales et l’organisation de l’espace pour les machines et la logistique. Lorsque que la pandémie covidienne a gelé le monde, beaucoup ont cru que cette première conséquence massive de la crise écologique (propagation ultra rapide des maladies dans un monde connecté et destruction des habitats d’animaux sauvage conduisant à des transmissions de virus) serait l’électrochoc final.

Pourtant c’est un autre mouvement qui a pris le dessus et dans ce tournant des années 2020, le monde s’enfonce durablement dans la guerre, la course aux ressources et à l’armement. Nous écologistes n’avons pas su voir que derrière l’écran de fumée des dirigeants « Ã  l’écoute Â» se préparait une grande offensive technoféodale, naissant dans le sentiment de toute puissance des acteurs du numérique et du besoin de revenir à la violence pour protéger leurs intérêts des grandes entreprises pétrolière et minière.

Ainsi 5 ans après le « how dare you ?! Â» de Greta Thunberg, Donald Trump a répondu « We’re gonna drill baby drill Â» et nous sommes complètement désarmés face à cette folle entreprise.

L’éco-anxiété est devenu une éco-résignation ; la menace devenue bien réalité d’un effondrement, non par le black-out promis par les prophètes de la collapsologie, mais par le fascisme et le repli des sociétés humaines sur elle-même, nous laisse impuissantEs. On peut aujourd’hui regarder en direct vidéo le génocide des Palestiniens et pendant que d’autres sont perpétrés au Congo, au Soudan, dans le XinThiang, dans l’indifférence ou l’anesthésie politique. Savoir qu’un drame a lieu ne change rien. Savoir, vivre même intimement l’embrasement planétaire n’engage pas la révolte.

C’est la partie la plus dure du diagnostic actuel pour l’écologie en soi, il n’y a plus d’endroit sur l’ensemble de la terre, de l’espace qui l’entoure jusqu’aux abysses, qui ne soit contaminé par nos déchets industriels. Rien ne se perd, rien ne se créé : en effet, tout a été transformé. Et sur la même terre que celle de nos ancêtres, l’expérience universelle de la nature va finir de disparaître. Le monde miroir de l’IA, des Réseaux Sociaux et des écrans est aujourd’hui plus universel que le monde sensible et vivant. Plus de gens ont vu un IPhone Apple dans leur vie qu’un pommier. Notre expérience du monde n’est plus que celle du désert pollué, bétonné, et du bourdonnement incessant des machines. L’écologie en soi n’existera bientôt plus. Et c’est tant mieux.

Nous sommes la génération Atlas, nous portons le poids du monde sur nos épaules. Je ne parle pas seulement de ma génération qui est née dans un monde déjà ravagé, dépeuplé de ses insectes et ses autres animaux, et qui a appris dès l’école primaire qu’elle grandissait dans et avec l’échéance de la disparition de l’humanité devant elle. Je parle aussi de toutes les personnes qui ont encore le souvenir des haies et des perdrix, des moineaux concurrençant les pigeons à Paris, des étoiles de mer et des crabes sur les plages. La génération de mes parents et de mes grands-parents porte le monde sur ses épaules. Elle ne doit pas croire qu’elle va être soulagée dans sa tâche par les plus jeunes. Il n’y a pas d’excuses à chercher, pas de cavalerie qui va venir finir le boulot. Nous sommes face à l’incommensurable responsabilité de porter ici et maintenant la lutte contre l’effondrement. Camus disait que le seul problème sérieux en philosophie était le suicide, en tant qu’il faille trouver un sens à la vie en tant que sujet dans un monde absurde. Soit. Mais combien est plus sérieux le suicide de l’humanité dans son ensemble ? Cela pose la question du sens de notre espèce au milieu du vide de l’univers. Ce n’est pas pour rien que les deux réponses qui emportent l’adhésion des masses aujourd’hui sont : – les extrémismes religieux qui détournent la foi pour justifier l’aspect le plus autoritaire et zélé des religions en offrant une promesse divine de paradis pour les pires atrocités d’une part, et – la croyance dans l’Homo Deus qui choisit de se fusionner à la machine pour ne pas être dépassé par elle, dans une course à la puissance technologique qui repose évidement sur une dépense illimitée de ressources même rationnalisée, allant parfois jusqu’au fantasme de la colonisation spatiale. Ces deux grandes tensions culturelles viennent chercher une immortalité, l’une spirituelle l’autre matérielle, à une humanité confrontée à sa propre disparition, et pour ces deux recettes, l’immortalité s’obtient par la quantité de sang versé.

Au milieu de ces deux monstres totalitaires qui s’entremêlent par leurs méthodes, nous avons un retard culturel et matériel immense à combler qui nous laisse peu d’options et demande d’aller trouver en nous-même et pour nous même la part de nature qui se défend et s’étend. Notre travail demande cependant de la patience ; les cultures humaines peuvent changer radicalement, comme elles l’ont fait par le nationalisme et l’industrie entre 1850 et aujourd’hui. Nous devons retrouver le goût des Å“uvres monumentales, car guérir la Terre de deux siècles de ravages, c’est un travail sur plusieurs générations. Nous n’en verrons pas le bout. Ce travail demande surtout de la détermination, car nous avançons, contrairement au slogan, à contre-courant de l’Histoire, qui aujourd’hui arrive à sa conclusion par l’hégémonie de la forme de société urbaine, autoritaire et extractiviste : capitaliste.

L’écologie pour soi c’est d’abord comprendre que l’humanité est une espèce parmi d’autre, une composante a priori secondaire de la nature, et que donc, c’est nous qui sommes le dernier espace de nature qui peut encore se révolter et refuser l’extermination programmée.

Cette part de nature en nous, cette part sauvage s’exprime doublement : par la confrontation et par la guérison.

La confrontation est un cri du cÅ“ur, un acte de défense légitime qui redonne à celui qui le choisit le pouvoir de choisir de refuser la violence qu’un autre lui inflige. Il peut aussi s’agir d’un acte d’empathie parce que nous souffrons de voir un autre souffrir. Il y a une part de rage, de violence pure qui jaillit de nous pour s’abattre de façon confuse, aussi parce que, comme la fuite et la résignation d’une réaction pour éviter que la douleur continue, donc qui comporte une dimension chaotique irrationnelle. Mais dans ces ressorts les plus subtils, y compris quand il faut faire face à une menace perçue comme existentielle, c’est dans la confrontation que l’on trouve aussi la ruse. Faire l’expérience de la ruse est très important, car la rage qui caractérise le combat réflexe pour la survie ne suffit pas à terrasser un oppresseur : elle doit être canalisée par une stratégie qui vise un point faible, économise notre effort en épuisant l’autre. Contrairement aux Shonen, très populaires manga où le héros triomphe toujours par son acharnement borné et le déploiement de pouvoir lié à sa colère, de David à Simbad en passant par Ulysse, les légendes anciennes nous rappellent plutôt que la révolte du faible contre le fort se gagne par la ruse. Face aux forces militaires et policières, aux milices et aux mafias, on ne pourra jamais jouer à armes égales. Il faudra donc jouer la ruse.

La Guérison est un acte plus lent et imperceptible. A l’échelle d’une société elle passe par le dialogue, l’entraide, l’accueil et la convivialité, réflexes de survie inverse au repli réactionnaire. Mais c’est aussi un processus similaire à l’échelle intime dont il ne faut surtout pas sous-estimer la nécessité. Car le choix de la révolte ou de la soumission se fait dans chaque cÅ“ur. Méprisée par notre culture viriliste qui valorise la souffrance, la guérison est l’antithèse du patriarcat. Il s’agit de briser le cycle intergénérationnel des violences intra-familiales et les traumatismes qui se répercute des parents aux enfants et ainsi de suite. C’est dans l’endroit où la violence intime a été la plus grande, dans les couloirs de la Pitié Salpêtrière, où des femmes violées par leur mari, leur parents ou autre proches étaient enfermées et torturées au prétexte de soins physiques à « l’hystérie Â», qu’a émergé, par la prise de parole de ses femmes contorsionnées de douleur, les fondements d’un travail sur les blessures de la psyché. La parole et le besoin d’une écoute réparatrice étaient leur révolte au sens stricte, même si ce sont des hommes qui ont théorisé et organisé autour de leurs expériences avec elles, des courants médicaux bien masculins et dominateurs. Les hystériques ont ouvert une brèche au cÅ“ur des ténèbres pour permettre une véritable révolution intérieure aux personnes et aux familles plus tard par les mouvements féministes. De l’estime de soi de Gloria Steinem aux courants écoféministes centrés sur le care, la tendresse radicale et le besoin vital de guérir une violence intime millénaire, porte comme une écologie psychologique la grande révolution féministe qui fait avancer par vague ce qui permet la révolte dans nos cÅ“urs. Cette dynamique engage de penser matériellement comment diminuer la part de violence dans la société en permettant de clore les cycles infernaux de « j’ai souffert donc je fais souffrir ou je laisse souffrir Â».

La confrontation et la guérison sont indissociables parce que ce sont deux élans de vie. Des révoltes contre la mort par un besoin irrésistible en nous de liberté. Car c’est la liberté qui protège. Le temps libre du repos, du loisir et de l’attention à ceux que l’on aime et aux autres que soi, le temps de ruse réfléchie. L’espace de liberté où la contrainte se relâche où l’on peut flâner sans peur à l’ombre des arbres, la brèche où l’on enfonce avec rage l’arme de notre révolte.

L’espace-temps de liberté était autrefois partout accessible loin des centres du pouvoir. Aujourd’hui, la marge n’existe plus, il n’y a plus que de maigres poches où la liberté est contorsionnée comme une hystérique de la Pitié Salpêtrière. Pourtant, le capitalisme continu boulimiquement de chasser la moindre poche d’air pour l’éteindre. Tout doit disparaitre à la fois parce que l’abondance du Marché repose sur la marchandisation de ce qui est gratuit dans la nature (des ressources alimentaire au pétrole en passant par la sensation de liberté vendu par le tourisme), et aussi parce que chaque espace de liberté est une insupportable remise en cause de l’universalité scrutatrice de l’État qui a besoin de savoir tout ce que nous pensons, disons, faisons pour se sentir en sécurité. La propriété, publique ou privé est toujours le vol tant de notre intimité que des communs. Aussi les grands acteurs de la propriété, les capitalistes authentiques et les États ne sont et ne peuvent pas être écologistes ; leur classe pour soi a besoin d’exploiter et de conquérir la Terre et nos corps.

C’est pour cela que l’attachement aux lieux est depuis toujours l’un des principaux vecteurs de mobilisation : on défend sa terre, sa forêt, sa maison. Il y a depuis les luttes anticoloniales jusqu’au Larzac, cette force vitale de subversion dans le refus de voir son lieu de vie devenir un lieu d’exploitation. L’écologie pour soi née ici, dans la construction et la défense de ces espaces de vie et de liberté. Elle est en cela une écologie fondamentalement sociale, ancrée dans le monde et dans les interactions humaines.

La défense de ces espaces de nature pour soi, pour la partager aux générations à venir, a toujours été la véritable force motrice de l’écologie ; l’émotion tient encore le mouvement debout, mais elle n’a pas su s’exprimer et la nouvelle génération n’a plus de nature à léguer, d’expérience de la liberté d’être dans un espace foisonnant de vie et sans contrainte étatique ou économique à partager. Tout l’enjeu est de faire réémerger des espace-temps libérés, que ce soit des ZAD ou des ronds-points, des communes ou des barricades, nous sommes dans une guerre de position.

Pourtant nous avons besoin d’aller plus loin parce que si de l’écologie pour soi peut émerger localement, l’enjeu est qu’un sentiment global d’appartenir à la nature s’empare de la société et devienne notre culture. Beaucoup de gens qui peuvent se le permettre vont s’isoler hors des villes pour créer leur petit lieu de vie et leur démarche souvent individualiste, parfois conservatrice ne contribue pas à la dynamique. Sans interconnexion des communes, des communs, des lieux de résistance, nous restons dans la logique coloniale dans laquelle le système capitaliste nous enferme, faisant de nos alternatives des réserves naturelles ou indigènes, des curiosités négligeables qui seront récupérées quand le besoin viendra. Une réserve c’est d’abord ça, un stock à utiliser plus tard.

Une véritable écologie pour soi n’existera que dans une vaste population sur un territoire large et cohérent, aura pour ciment culturel la conscience d’être indissociable de la nature (et donc de ne pas pouvoir supporter la moindre extraction ou soumission). L’écologie pour soi était pendant l’écrasante majorité de l’histoire humaine un acquis très répandu. Des sociétés paysannes de l’Europe médiévale aux peuples natifs américains du Nord ou de l’Amazonie, de l’Afrique des nomades du désert à celle des royaumes de la jungle, dans toutes les îles du pacifique et de l’océan Indien aux steppes eurasiennes : ce n’est que récemment que la déconnexion a eu lieu à l’échelle de l’histoire humaine, et cela ne s’est pas fait autrement que par les génocide coloniaux des peuples libres de ces terres.

Aujourd’hui notre environnement n’est que villes, routes et espaces industriels et logistiques. La bataille semble perdue, mais nous avons encore trois cartes en main pour faire réémerger une écologie pour soi et faire revivre ce monde.

La première carte est la plus évidente mais pas la plus simple. En s’appuyant sur le besoin d’un certain nombre de gens de déserter les villes, il s’agit de repeupler l’espace rural et de reprendre collectivement et démocratiquement le contrôle de la ressource en eau et en alimentation. Cela demande de faire face à un appareil agro-industriel très armé et riche. Car c’est là que se joue réellement le combat.

La deuxième carte c’est de voir dans la ville un environnement naturel dont il faut saisir l’écologie particulière pour déployer une subversion contagieuse. Considérer nos espaces artificiels comme contre nature est une erreur fondamentale. Auriez-vous idée de considérer une fourmilière comme extérieur à la nature ? les villes sont pareilles, elles sont régies par la même logique organique que les humains qui les construisent et les font vivre. Dans la révolte urbaine ou logistique il y a un immense potentiel de subversion de territoire. Les ronds-points gilets jaunes et les émeutes de quartiers populaires ont eu cette même capacité à entamer un process de libération dont le cÅ“ur a toujours été la guérison par la recréation de lien sociaux dans l’entraide et le l’écoute entre les gens. Dans le refus de voir sa tour détruite par l’aménagement urbain il y a la même sensation que dans la protection d’une forêt. Les lieux, même en béton, peuvent nous devenir intimes. Et c’est précisément pour cela que nous visons la Commune comme mode de société. Car elle est ce que la confédération tribale a pu être pour des peuples de forêt ou de steppe : une organisation de la société écologique pour soi dans son environnement. Pour nous l’environnement est urbain, mais quand nous aurons réellement réussi à reprendre pouvoir dessus qui sait à quoi il ressemblera ?

La dernière carte est plus difficile encore à appréhender car elle se déroule sur le numérique. L’ensemble de l’humanité peut aujourd’hui se parler en direct de façon constante. Cette force peut permettre de créer une culture et une conscience d’envergure planétaire et de sensibilité terrestre. L’uniformisation des cultures par le capitalisme occidental arrive à son paroxysme et une myriade de micro culture émerge dans le monde numérique par la force de communautés formées par le hasard et une commune sensation liée à une œuvre artistique ou une autre. Faire de l’interconnexion et de la créativité numérique notre stratégie, n’est pas évident. D’abord parce que les technologies numériques ont prolétarisé les classes intellectuelles et menacent à terme de canaliser l’ensemble de la créativité humaine par une robotisation qui va du livre à la peinture. Ensuite parce que l’écran de télé ou de smartphone nous aliène en nous coupant les uns des autres et en nous rendant étrangers à nous-même. Enfin parce que les canaux d’échanges, les sites, les data center sont détenus par nos adversaires capitalistes et qu’ils n’hésitent plus à mettre en place une censure de leur propre chef ou sous la pression des États. Malheureusement, pour affronter la structure mondiale de l’économie capitaliste et tous les États autoritaires, il faut se placer à une échelle terrestre impossible à atteindre sans ces outils. Il faut donc engager la confrontation technologique dans le virtuel et accepter de confier à des techniciens, la responsabilité d’une guérilla numérique pour le contrôle de canaux dans le flot d’internet pour mener des soulèvements sur toute la Terre.

Manifeste « Pour une écologie pour soi Â»

Préambule

Face au vacillement du monde, à l’accélération de l’effondrement écologique et à l’impasse civilisationnelle dans laquelle nous entraîne le capitalisme globalisé, une certitude s’impose : l’écologie dominante ne sauvera rien. Technocratique, abstraite, hors-sol, elle parle d’objectifs chiffrés, de neutralité carbone, de solutions innovantes. Mais elle oublie les corps, les peuples, les histoires, les territoires. Elle oublie la vie vécue.

Nous, femmes, enfants et hommes engagéEs, héritiers et héritières de luttes passées, portons une autre écologie. Une écologie incarnée, vécue, relationnelle. Une écologie pour soi, enracinée dans les mémoires, les récits, les liens, les pratiques et ancrée dans nos lieux de vie. Une écologie qui ne sépare pas l’environnement du politique, du sensible, du social et de l’existentiel.

Constats

  • L’écologie dominante s’est faite outil de gouvernementalité dit gouvernance néolibérale. Elle calcule, contrôle, adapte. Elle propose des transitions et des ajustements dans la modernisation de l’existant. Elle réifie émotions, sentiments et crée d’incessants segments de marché.
  • Le vivant est réduit à des flux de données, des tonnes de COâ‚‚, des ressources à préserver pour mieux continuer à exploiter. La nature est gérée comme un actif, les humains comme des variables d’ajustement.
  • Pendant ce temps, les territoires s’effondrent, les communautés s’épuisent, les êtres souffrent. Une violence sourde ronge les corps et les liens. Le capitalisme vert est un oxymore qui colonise jusqu’à notre imaginaire.

Notre écologie est une contre-culture

Nous refusons cette écologie en surplomb, désaffectée et technicienne. Notre écologie est incarnée, située, relationnelle. Elle part de nos corps, de nos histoires, de nos émotions. Elle est tissée de luttes, de gestes, de transmissions.

Elle est une écologie décoloniale, car elle se souvient que la crise écologique est d’abord l’effet d’un long processus d’expropriation, d’exploitation, de racialisation et de domination. Elle est une écologie populaire, enracinée dans les pratiques de subsistance, d’entraide, de care, que des siècles de rationalisation ont méprisées.

Elle est une écologie politique, qui ne se contente pas de ménager les effets, mais cherche à renverser les causes. Elle récuse les fausses solutions – géo-ingénierie, croissance verte, capitalisme responsable – et oppose à la fuite en avant une volonté de rupture.

Une stratégie de recomposition

Il ne s’agit pas seulement de dénoncer. Il s’agit de recomposer : des territoires, des communautés, des récits, des pratiques. Non pas pour « gérer la crise », mais pour construire des espaces de liberté, des cultures de résistance, des formes de vie habitables dans l’effondrement.

Nous croyons à la puissance des marges, aux zones de friction, aux lieux où l’on réapprend à faire commun et à la ruse pour déjouer les rapports de force. Nous croyons aux cultures de subsistance, de care, de lenteur, de récits, comme leviers d’émancipation. Nous croyons à l’insurrection sensible – celle des liens, des gestes, des rituels, des attachements – contre le froid calcul de l’administration écologique.

Nous appelons à sortir de l’écologie comme mode de gouvernement et à entrer dans une écologie comme mode d’existence.

Appel

Ce manifeste est un appel à celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’écologie dominante, mais qui sentent l’urgence d’agir. À celles et ceux qui cherchent à habiter autrement, à lutter autrement, à rêver autrement. Celles et ceux qui veulent reconstruire une culture commune face à la dépossession, la solitude, le désenchantement.

Nous ne sauverons pas le monde. Mais nous pouvons encore sauver des mondes. Faire surgir, dans les ruines de l’ancien, des foyers de vie, de lutte, d’amour et d’intelligence collective.

Une écologie pour soi, ce n’est pas se replier sur soi-même. C’est, au contraire, choisir ce à quoi l’on tient, et s’organiser pour le défendre.

Rejoignez-nous. Retissons des liens. Reprenons les territoires. Réapprenons à vivre.