La répression de la liesse populaire 

Ce samedi 31 mai 2025, le PSG remporte la ligue des champions. Ce fut une immense joie pour des milliers de supporters qui attendaient cette victoire depuis celle de l’OM, il y a 32 ans. Avec la manita, 5-0, une folie. S’en est alors suivi une liesse populaire, où les supporters du club et au-delà sont sortis dans la rue pour célébrer cette belle victoire. Mais la joie fut de courte durée, abrégée par les forces de l’ordre et leurs habituels passages à tabac et gros nuages de gaz lacrymogène.

Car avant même de connaitre l’issue du match, l’espace public parisien s’est vu militarisé, à base de barricades autour des magasins et de déploiement de multiples CRS un peu partout, créant tout de suite un climat de tension pour intimider les potentiels fêtards. 

Les débordements étaient donc inévitables mais leur ampleur plus grande qu’attendue : 2 morts et plus de 500 interpellations. Comment expliquer cela ?  Lors de la victoire de la France à la coupe du monde 98, des débordements similaires, causant aussi des morts, avaient été constatés : la violence en troisième mi-temps fait partie de l’histoire footballistique. Fort de ce constat, il s’agit d’interroger la façon dont les débordements ont été gérés en amont, en préparant l’opinion à un climat de guerre pour inciter les gens à rester chez eux, et en aval  par une répression systématique. On se souvient également du scandale au Stade de France, lors de la finale de la ligue des champions où les supporters anglais ont été parqués, puis gazés avec des enfants et des personnes handicapéEs, et les déclarations mensongères de Darmanin, ministre de l’Intérieur à l’époque qui répétait les rumeurs de faux billets pour expliquer la mise en danger de cette foule par les forces du désordre, sous l’autorité d’un préfet qui ne faisait pas dans la dentelle pour réprimer les foules. Il aura fallu attendre trois ans pour que Darmanin présente ses « excuses » en reconnaissant ses erreurs, notamment le fait de « s’être trompé dans le choix du dispositif d’encadrement policier de cette rencontre ».

Depuis la nuit des temps, la fête remplit une fonction particulière : celle d’évacuer en partie les tensions sociales, de permettre à chacunE de prendre part à la vie de la cité et d’exister dans l’espace public. Comme une soupape libérant l’air comprimé, la fête régénère le savoir-vivre ensemble, même si elle déborde, même si elle devient incontrôlable. La fête, surtout improvisée, remet en cause l’ordre établi, anéantit les barrières sociales, libère l’expression individuelle et collective ; elle renforce le sentiment d’appartenance à une communauté humaine. Comme l’écrit Hervé Mazurel dans le numéro « la Fête nuit et jour » de la Revue Sensibilités « parce qu’elle ouvre sur la pure jouissance de l’instant et la pérennité de son souvenir, la fête devient un des lieux privilégiés où se fabrique du sacré, intime autant que collectif ». Réprimer sévèrement ces moments de « fête » revient de facto à imposer une société sans coeur, sans âme, où la violence prend le pas sur l’amour, la solidarité, le rire, le partage qui émergent le temps de la fête.

Un autre degré de l’intolérance à la « fête libre » a été franchi dernièrement avec la confrontation de teufeurs pacifiques délogés manu militari, d’un champ qu’iels occupaient, par des membres des JA (agriculteurs réactionnaires pires que ceux de la FNSEA).

Les débordements qui ont suivi la victoire d’une équipe masculine illustrent bien plus qu’un simple excès festif. Ils traduisent une expression collective de jeunes hommes, majoritairement issus des quartiers populaires, confrontés à une répression exercée par une institution policière également masculine. Ce face-à-face viriliste, chargé en testostérone, est révélateur d’un mode de gestion autoritaire des populations reléguées à la périphérie des villes.

Il ne s’agit pas tant d’une violence dirigée contre les classes aisées, que d’une confrontation avec les institutions perçues comme oppressives (y compris les pompiers qui s’engagent à « sauver ou périr » et qui peuvent être pris pour cible quand ils viennent éteindre un véhicule ou des poubelles en feu). Ces actes peuvent être lus comme une contestation d’un système qui marginalise et criminalise la jeunesse et les gens « sans dents », les pauvres, les indésirables, tout en réduisant leurs formes d’expression à de la délinquance.

Les forces de l’ordre, bien que souvent socialement proches de ceux qu’elles répriment, opèrent au service d’un ordre bourgeois. Leur fonction n’est pas tant de protéger que de maintenir un statu quo fondé sur l’exclusion et la paupérisation. Ce dispositif répressif, genré et hiérarchisé, évoque une forme de guerre sociale larvée, où les classes dominées sont assignées à résidence et régulièrement rappelées à l’ordre par la force et le contrôle.

Ce phénomène s’inscrit dans une logique plus large de durcissement autoritaire, où la masculinité devient un vecteur central de la « violence légitime » de l’État et de la réponse populaire contre l’oppression.

« Du pain et des jeux » dit le dicton, quand une population se laisse aller, parce qu’elle se contente de se nourrir et de se divertir sans se soucier d’enjeux plus exigeants, ni de l’avenir, ni du devenir collectif, alors que le pouvoir en place exploite cette indifférence par des mesures à courte-vue. Or depuis les manifestations contre la loi travail de Macron-El Khomri à celles contre la réforme des retraites validée à coup de 49-3, de la répression violente du mouvement des Gilets Jaunes à celle du rassemblement de Sainte-Soline en passant par les émeutes causées à la suite du meurtre de Nahel par un policier, la gestion des foules par les forces de l’ordre pose d’énormes questions.  

Ce qui s’est passé à Paris en est le parfait exemple. Ce qui devait à la base être une célébration populaire a viré au cauchemar car la pression montait depuis bien trop longtemps et tout a explosé en l’espace de quelques heures. On se retrouve donc avec des jeunes tabassés, arrêtés, condamnés et insultés par un ministre de l’Intérieur qui les traite de « barbares » et des magasins pillés. Or faut-il plus s’émouvoir de boutiques de luxe appartenant à des milliardaires être attaquées que du pillage d’un supermarché dont les denrées sont partagées sur le trottoir ? Dans les deux cas, cela souligne la dimension éminemment politique de ces « pillages ». 

Tout aurait pu être différent, si l’État n’avait pas dès le début chercher à criminaliser la jeunesse issue des quartiers populaires en militarisant totalement l’espace public. 

Mais à quoi s’attendre quand le pain vient à manquer, que la misère attise la colère, lorsque les jeux sont célébrés et la joie populaire réprimée ?

Tout cela rappelle tragiquement les dérives autoritaires du passé : une répression violente, souvent arbitraire, qui s’abat sur les populations les plus vulnérables et marginalisées. Nous assistons à une fascisation progressive de l’appareil d’État, marquée par une intensification des violences policières, parfois jusqu’à la mort.

Il est impératif de restaurer un véritable sentiment de sécurité publique. Mais cela ne pourra se faire qu’en rompant avec la logique sécuritaire actuelle, où l’État policier agit avant tout pour protéger les intérêts des classes dominantes, au prix d’un accroissement des inégalités et d’un renforcement systémique des injustices.

Le rôle d’une institution assurant la tranquillité publique aurait dû être, non de préparer les esprits et l’espace public à l’affrontement, mais au contraire d’inviter tout le monde, femmes, enfants, personnes vulnérables comprises, « en cas de victoire » à célébrer sur les Champs Elysées en préparant un accueil convivial de la foule et un service de tranquillité publique discret et efficace. 

Malgré notre opposition radicale, les JO de Paris se sont tenus l’été dernier. Force est de constater que du point de vue logistique, les touristes et les habitantEs ont été accueilliEs de façon chaleureuse et apaisée, et que tous les moyens ont été mis pour faire de cet événement une fête réussie. C’est la preuve que les fêtes d’ampleur peuvent se dérouler, sans incident, quand la volonté politique est au rendez-vous. 

C’est en s’organisant maintenant que nous sauverons les générations futures de cette France fascisante.

A PEPS, nous appelons à nous réapproprier l’espace public : investissons-le pour qu’il redevienne un lieu d’échange et de partage, où nous pouvons célébrer nos joies et nos chagrins sans avoir peur des forces du désordre. Partout où c’est possible, faisons la fête, car « on n’arrête pas un peuple qui danse » comme on le dit dans les rave-party où l’esprit à l’origine défend des valeurs d’autonomie, d’autogestion, de solidarité, de gratuité, de tolérance et respect mutuel, de convivialité, d’espaces libérés des oppressions et discriminations systémiques : organisons des matchs inter-quartiers, des jeux inter-villes, des tournois de pétanques ou de chorégraphies, des banquets, des soupes et des bals populaires, des projections publiques d’événements sportifs et de films : la rue est à nous, la fête est une arme. D’un point de vue léniniste adaptant la vision de Marx, la révolution est la fête des opprimés et des exploités. Jamais la masse populaire ne peut se montrer un créateur aussi actif du nouvel ordre social que pendant la révolution. 

Vive la Seconde Commune !