La Tribune libre de PEPS :  Primaire Populaire, ce qu’on en voit, ce qu’on en pense, ce qu’on en fait

PEPS met à disposition une tribune libre pour partager des textes de réflexion inédits, proposés par des contemporains, afin de nourrir les idées et le débat autour de l’écologie populaire et sociale. Aujourd’hui, une contribution de nos camarades Fiona Steffan et Merlin Gautier, étudiant.e.s, délégué.e.s de PEPS au Conseil des partis de la Primaire populaire.

Rassemblant maintenant plus de 200 000 signataires, la pétition pour une primaire de toute la gauche lancée par « 2022 ou jamais » a commencé à émerger. Lancée il y a plus de 6 mois, cette initiative d’abord confidentielle rassemble désormais le double des électeur.rice.s de la primaire des écologistes et devrait, d’ici leur vote fin janvier, rattraper le nombre de signatures de Mélenchon2022. Ce nombre de participant.e.s reste faible, notamment en comparaison des primaires des années 2010, mais il suffit à imposer un rapport de force dans une gauche électorale complètement amorphe et incapable de s’imposer médiatiquement face à l’épidémie de peste brune qui touche notre pays. Dans la course pour le couronnement électoral du monarque présidentiel, cette « initiative citoyenne » est-elle un mirage ou le dernier espoir d’une gauche française déshydratée ? Que propose-t-elle comme perspectives pour l’écologie populaire et sociale ? Quelle attitude adopter vis-à-vis de ce sursaut de la social-démocratie ? Nous vous proposons quelques éléments de réflexion.

Ce qu’on en voit

Entre Avril et Juin 2021, PEPS a participé au « Conseil des partis » de la Primaire Populaire. Cet organe consultatif rassemblait des représentant.e.s des différents partis politiques et candidat.e.s putatif.ive.s allant des ex-macronistes à la France Insoumise, les organisations communistes (NPA, LO, PCF) ayant cependant refusé d’entrée de jeu ce dialogue qui n’engageait personne. Dans ce contexte, nous représentions donc, avec les Insoumis, les voix les plus à gauche et les plus proposantes. En effet, la grande majorité des participants étaient surtout là pour jouer au plus unioniste sans s’avancer sur le fond politique, à part pour éviter que les termes des partis rivaux ne se glissent dans cet interstice du débat politique. On a ainsi pu voir avec amusement les représentants d’Europe Ecologie les Verts être les seuls à refuser la « planification écologique » avec pour unique argument : « ça fait trop mélenchon ». Ambiance. 

Nos propositions portaient, entre autres, sur le combat contre l’artificialisation de sols, pour une réglementation beaucoup plus rigoureuse sur les pollutions et les risques industriels, pour une sortie rapide du nucléaire et une décroissance forte de notre consommation énergétique, pour la sortie de l’agriculture productiviste et un protectionnisme social et écologique, pour le rétablissement d’une sécurité sociale indépendante et gérée par les salariés, pour une assemblée constituante afin de sortir de la Vème République et son bonapartisme institutionnel pour poser les bases d’une démocratie directe et communaliste. Nous souhaitions également faire avancer les discussions sur la laïcité pour la sortir de l’impasse intellectuelle dans laquelle la traîne nos adversaires, mais ces échanges ont été bloqués par des socialistes défendant d’une laïcité exclusive et agressive vis-à-vis des confessions minoritaires dans notre pays. Dans ces joyeuses conditions, la posture de PEPS était sans aucune illusion dans ce dispositif dont l’objectif avoué était d’aboutir à un bon compromis social-démocrate que personne ne s’engageait à signer au-delà du « socle commun ». Il s’agissait pour nous de participer au débat d’idée, pas à une alliance politique avec des partis dont certains sont des adversaires. 

Nous sommes resté.e.s à distance de la Primaire populaire, en gardant un dialogue, notamment lors de nos rencontres d’été où leur porte-parole a pu débattre avec ses homologues de Rejoignons-nous et de l’Union Populaire. Plusieurs de nos camarades ont cependant décidé de s’engager à titre individuel dans cette initiative, notamment Odile Maurin fondatrice de Handi-social et Gilet Jaune de Toulouse, et Anna Agueb-Porterie militante à PEPS 93 qui a participé à fonder avec nous la plateforme de sensibilisation aux dangers industriels Notre Maison Brûle, qui porte aujourd’hui une candidature citoyenne dans la Primaire populaire.

Ce qu’on en pense

L’objectif affiché d’imiter la primaire démocrate américaine et l’accord entre Biden et Sanders place d’emblée la Primaire populaire dans l’espace politique social-démocrate d’une gauche très modérée, particulièrement heureuse de ne pas avoir à s’encombrer des partis trotskistes, réticente à la moindre référence au capitalisme, aveugle aux réglementations économiques ultra-libérales de l’Union Européenne. Les associations à l’origine de l’organisation, si elles se présentent comme citoyennes, sont issues de la démocratie chrétienne. La communication numérique politiquement aseptisée, pleine d’autosatisfaction bourgeoise et débarrassée de tout conflit de classe, aucun doute sur la ligne politique défendue en creux de cette initiative. Le choix du scrutin de Condorcet (voter pour plusieurs candidats dans un ordre de préférence plutôt que pour un seul) relève donc ici moins de l’innovation démocratique que de la sécurité d’avoir un.e candidat.e aussi modéré.e que possible. Le plébiscite de Christiane Taubira sur la plateforme n’a rien d’un hasard : l’union comme stratégie et la réforme du capitalisme comme objectif. Sur les dix candidat.e.s retenu.e.s en novembre, la moitié étaient ainsi des sociaux-démocrates issus du PS ou de ses partis satellites.  

PEPS ne se reconnaît pas dans cette social-démocratie pour qui le glissement vers le libéralisme est une aspiration naturelle, qui ferme les yeux sur les ravages écologiques dont le capitalisme est la seule cause et qui fait de la lutte contre les discriminations un sympathique emballage pour ne pas voir les oppressions systémiques de la hiérarchie sociale et de la culture coloniale. Nous nous félicitons cependant de l’avancée jusqu’à cet espace politique de propositions que nous soutenons :  

  • Reconversion vers une agriculture paysanne notamment par : la socialisation de la dette des agriculteur·rice·s qui passent à une agriculture bio et le plafonnement des marges de la grande distribution
  • Garantie de la vente libre des semences paysannes
  • Garantie d’une forme de sécurité alimentaire ; assurance d’un volume minimum gratuit pour l’eau/gaz/électricité
  • Revenu de solidarité dès 18 ans 
  • Diminution du temps de travail 
  • Investir dans le système hospitalier et les métiers du soin 
  • Restauration et modernisation de l’ISF 
  • Reconnaissance du vote blanc contraignant
  • Sixième République écologique et la fin de la monarchie présidentielle
  • Abrogation de la loi sécurité globale
  • Indépendance du parquet, remplacement de l’IGPN/IGGN par une autorité indépendante

La question qui demeure c’est : est-ce que cette primaire démocrate française a quelque chose de populaire ailleurs que dans son nom ? Non. Si ses organisateur.rice.s revendiquent une part importante de « personne qui votent pour la première fois », il ne s’agit pas d’abstentionnistes subitement convaincu.e.s mais de primo-votant.e.s, les jeunes des milieux aisés des grandes villes qui voteront pour leur première présidentielle en 2022, sont les cibles principales de la communication numérique réconfortante de la Primaire populaire. De fait, ils constituent également la majorité de leur militant.e.s. On y retrouve donc une partie de la Génération Climat qui poursuit là son cheminement politique avec un faible bagage théorique, mais un attachement sincère aux luttes anti-oppressions (racisme, sexisme, LGBTphobies, validisme, spécisme) et une mentalité façonnée par la crise écologique. Cette nouvelle génération militante, que la candidature d’Anna Agueb-Porterie contribue à incarner, s’est déjà révélée comme un moteur électoral puissant en portant Sandrine Rousseau dans la primaire écologiste. EELV et la Primaire populaire arrivent donc à attirer dans la Social-Démocratie une part très importante d’une jeunesse potentiellement plus radicale, en l’aseptisant à terme pour y piocher ses futurs cadres, comme le PS était parvenu à le faire entre 1970 et 2010. 

Ce qu’on en fait

Malgré 15 ans de casse sociale, de recul des libertés et de trahison écologique, le débat politique est aujourd’hui occupé par des débats lunaires sur l’identité imposés par une droite radicalisée par la pratique autoritaire du pouvoir et l’accaparement des médias de masses par des milliardaires en quête de contrôle social. L’explosion de la misère est invisibilisée par une lutte de valeurs dans une arène médiatique et électorale qui s’éloigne chaque jour de la population. L’abstention est devenue la protestation muette d’un peuple dont les représentant.e.s sont plus occupé.e.s à se chercher une morale qu’à porter leur parole et leur souffrance. La Primaire populaire représente pour beaucoup de gens un espoir de présenter un front uni dans un espace politique où la droite est hégémonique.

Mais à quoi peut-elle aboutir ? Soit elle devient la primaire naine des petits partis sociaux-démocrates, en permettant à Charlotte Marchandise ou Christiane Taubira d’avoir un quart d’heure médiatique avant de se retirer face à l’incapacité à rassembler la gauche et pour ne pas s’ajouter à la division. Soit elle devient le sondage géant d’une gauche dont les candidat.e.s sont haï.e.s pour leur incarnation du pouvoir. Un tel sondage pourrait avoir un effet retentissant sur la campagne s’il donnait une légitimité nette à l’un des trois putatifs, mais il resterait un sondage sur lequel on peut faire l’impasse et que l’expérimentation du scrutin de Condorcet et la sociologie très inégale des participant.e.s risque de rendre impossible à interpréter. Dans un cas comme dans l’autre, le résultat sera une immense déception pour une jeunesse qui est déjà massivement abstentionniste. En essayant de reprendre la main en ressuscitant l’unionisme qui lui a offert certains de ses moments de gloire, la social-démocratie risque surtout d’enterrer la démocratie représentative entre une abstention de la moitié de la population et un autoritarisme allant de Macron à Zemmour.

Peut-on pirater cette plateforme avant qu’elle ne devienne un mouvement trop structuré d’un centre-gauche renouvelé? La possibilité d’une victoire de Jean-Luc Mélenchon dans ce sondage géant serait le meilleur moyen de désamorcer cette ligne politique en l’absorbant dans son Union Populaire.  Cependant il est particulièrement détesté dans le camp de la gauche modérée incarné par la Primaire populaire, sa victoire serait une véritable surprise. Il nous semble que c’est pourtant le scénario le moins pire. Cela renforcerait la capacité d’un programme abouti, l’Avenir en Commun, à rassembler les classes intellectuelles et populaires derrière des propositions politiques et non derrière la bannière morale d’un progressisme de gauche sans mesure pour sortir de la misère et de la crise écologique engendrées par le capitalisme. Malheureusement il semble très improbable que cela ait lieu, le sillon tracé par les sociaux-démocrates et le populisme de gauche ressemble de plus en plus à un canyon infranchissable…

À PEPS nous espérons que la candidature d’Anna Agueb-Porterie pourra rassembler les jeunes militant.e.s et votant.e.s de cette Primaire derrière un projet d’écologie de rupture, si elle parvient à porter des idées qui sortent du compromis social-démocrate, elle pourra empêcher beaucoup de prendre la pente de la bureaucratisation ou celle de la résignation. Dans le cadre d’une primaire naine, elle pourrait remporter une adhésion assez forte pour orienter vers l’écologie populaire et sociale les déçu.e.s de ce scrutin toxique.

Le 07 décembre 2021,

Fiona Steffan et Merlin Gautier