Le Pen condamnée : « Défendre l’État de droit ». . . , mais quel État de droit ?

Le jugement de Marine Le Pen et des autres éluEs ou ex-assistantEs du RN misEs en examen, a fait apparaitre un débat sur la justice et l’État de droit. D’un côté les néofascistes attaquent « le gouvernement des Juges », les « juges rouges », le Syndicat de la Magistrature. De l’autre, la gauche institutionnelle et les macronistes convergent autour de la défense de la « démocratie menacée » et de « la défense de la République ». Ce débat nous paraissant confus, nous souhaiterions faire entendre un autre son de cloche. 

Les Juges appliquent la loi.

C’est leur fonction, en toute indépendance, depuis la séparation des pouvoirs, même si cette séparation est imparfaite comme le montre le rôle du Parquet soumis au contrôle du Garde des Sceaux. Ces lois sont faites par les parlementaires français ou européens. Les juges, quelles que soient leurs opinions politiques, appliquent la loi. Ceux qui ont voté la loi qui rend l’inéligibilité de Marine Le Pen exécutoire immédiatement, ne font donc qu’appliquer la loi élaborée par les parlementaires. Or l’ensemble des partis, de l’extrême droite à la gauche, pour surfer sur la défiance légitime des populations face à la corruption d’une partie du personnel politique, n’ont eu de cesse, ces vingt dernières années, de réglementer toujours plus les conditions de l’action politique. Le Pen et la droite veulent, en s’attaquant aux juges, préparer le terrain à une remise en cause de la séparation des pouvoirs. Marine Le Pen a été condamnée en fonction de lois qu’elle a soutenu, elle qui, « tête haute, mains propres », a toujours soutenu l’inéligibilité à vie et a fait campagne en permanence sur le thème de : « politiques tous pourris ! ». Ses larmes de crocodile et sa victimisation ne cacheront pas qu’elle est prise à son propre jeu. Telle est prise qui croyait prendre.

Les droites dans le monde entier, qui ont cherché à piéger leurs adversaires en instrumentalisant la Justice, défendent maintenant Le Pen, de Bolsonaro à Orban, de Trump à Meloni. Bolsonaro a fait mettre en prison Lula tandis que Trump, en manipulant la Cour Suprême, a fait interdire l’avortement. Que, pour une fois, les juges appliquent une loi qui se retourne contre leurs intérêts, ce n’est que justice.  Nous ne verserons pas une larme sur le sort de Marine Le Pen et de ses acolytes.

Une partie des lois consacrées à la lutte contre la corruption, ont institué un nouveau rapport à la politique.

Au lieu de mettre en cause l’enrichissement personnel des députés, sénateurs ou autres éluEs, – ce qui est parfaitement juste -, comme l’ont montré le cas de Cahuzac ou de Carignon, une partie de ces lois contribue à la fonctionnarisation de la politique.

Le Parlement européen est allé le plus loin, en s’attaquant à l’activité propre des partis politiques qui est d’organiser le débat démocratique dans le pays, et pas seulement d’appliquer des politiques publiques strictement limitées au contrôle et à la définition des législations. Or, depuis le début de la démocratie parlementaire les éluEs, quels qu’iels soient, doivent pouvoir traiter de tout ce qui fait la vie des citoyennEs dans l’espace public.

En voulant réglementer le travail des assistants parlementaires, nous sommes en train de voir détourner l’action politique par une dépolitisation et une fonctionnarisation de la politique, en restreignant le champ politique des députéEs européennEs à la seule définition de la loi. Pour nous la politique n’est au fond qu’un rapport entre dominéEs et dominants. Mais la volonté de l’état capitaliste est de réduire cette confrontation d’orientations et d’idées entre les classes à une politique gestionnaire, à un juridisme, hors de toute réalité politique et sociale.

Or qu’ils soient fascistes, libéraux, communistes, écologistes, insoumis ou autres, les éluEs et les assistantEs ont le droit légitime de faire de la politique au-delà de la rédaction d’amendements parlementaires ou de discours dans l’hémicycle. Les éluEs communistes depuis que le PCF existe reversaient leurs indemnités au Parti, qui les redistribuait sous forme de SMIC et utilisait les compétences des assistantEs pour l’ensemble de son activité politique.

Il est vrai que le RN en transformant en système, au profit de ses dirigeants les fonds européens, utilisant des assistants comme majordomes ou chauffeurs, est condamnable et doit être sanctionné. Mais ces assistants comme ceux de tous les autres partis ont appliqué la politique de leur parti. Ce qui est en jeu ici est le rôle des partis politiques. Si ceux-ci sont utiles, ils doivent leur utilité à leur fonction de politisation de la société. Si Le Pen et ses acolytes devaient être condamnéEs, ce devrait être d’abord et avant tout en raison du racisme structurel, de l’islamophobie, de la négrophobie, de la Romophobie ou de l’antisémitisme que les éluEs RN développe impunément en dépit des lois sur le racisme.

Enfin les peines d’inéligibilité censées garantir l’exemplarité des élus permettent un contrôle dangereux sur la vie politique car elles peuvent être étendues à des infractions comme « l’apologie du terrorisme », utilisée pour réprimer les prises de positions critiques de la politique génocidaire de l’État d’Israël. À l’heure où un projet de loi déposé par des députés macronistes propose de criminaliser l’antisionisme, en l’assimilant à l’antisémitisme, les conséquences politiques de l’application de peines d’inéligibilité à « exécution immédiate » pourraient se retourner contre les éluEs de gauche et écologistes. Cela se voit d’ailleurs dès maintenant dans les tribunaux du quotidien où des milliers de condamnations sont appliquées pour celleux qui sont jugéEs en comparution immédiate. L’Appel et son caractère suspensif est un droit inaliénable du justiciable. Il vient d’être rappelé par la rapidité du jugement en appel de Le Pen. Des milliers de mis en examen qui croupissent en prison des mois durant  aimeraient bien voir cet empressement leur être appliqué.

La défense de « l’État de droit » est devenue la tarte à la crème des partis qui s’opposent aux néofascistes du RN. Mais de quel état de droit parle -t-on ?

L’État de droit c’est celui qui a permis de faire expulser les jeunes mineurs isolés de la Gaité Lyrique. L’état de droit c’est celui qui s’attaque aux sans papiers en les pourchassant jusque dans les écoles pour les expulser. L’Etat de droit c’est celui qui permet l’autorisation des pesticides qui tuent des paysans et des riverains, qui autorise les nitrates en Bretagne qui ravagent nos côtes avec les algues vertes ; L’état de droit a autorisé la chlordécone en Martinique et en Guadeloupe ou a tué des centaines de milliers de personnes par l’amiante. L’État de droit permet aux bailleurs ou aux propriétaires d’expulser des milliers de personnes de leur logement depuis le 30 mars comme chaque année…L’état de droit ne condamne pas les féminicides dans la plupart des cas. L’Etat de droit est le plus souvent dur avec les pauvres, les déclasséEs, les lanceurEs d’alertes… et doux pour les patrons, les proprios et les puissants. L’Etat de droit dans un État capitaliste c’est d’abord un état de droite, un état d’injustice permanent. Et ce fameux « État de droit », dont tout ces beaux parleurs nous rabattent les oreilles, des espaces entiers de la vie sociale lui échappent, à commencer par les entreprises et le travail de millions de salariéEs et de précaires qui vivent hors de toute application du droit accéléré par Macron qui a détricoté les Prudhommes et aboli les CHSCT. L’état de droit est absent de tous les lieux d’enfermement, des prisons aux hôpitaux psychiatriques, des ESAT pour personnes handicapées aux EPHAD où les personnes âgées sont condamnées à mourir à petit feu, au profit d’entreprises telle ORPEA. Et si le RN s’emparait du pouvoir, nul doute qu’il utiliserait l’État de droit à son profit car les Lois de la Vème République, née d’un coup d’état constitutionnel en pleine guerre d’Algérie, lui permettraient d’appliquer sa politique raciste, antisociale et autoritaire sans rien changer … à l’état de droit. Le droit dans la république a le plus souvent servi à produire des inégalités de genre, de race, de classe.

Les régimes qui se sont succédé en France ont été la monarchie ou l’Empire avec des dynasties de droit divin ou instaurées par des coups de force bonapartistes, puis la république qui née d’une alliance entre les classes populaires et la bourgeoisie est devenue, depuis 1793, une république bourgeoise sous les deuxième, troisième, quatrième et Cinquième République. Certes, des droits sociaux et politiques ont été arrachés par les luttes ouvrières et paysannes, par les combats féministes mais sans que la structure de classe de la République n’ait jamais été remise en cause.

Un troisième régime, celui né des sections de Sans culottes et de la Commune de Paris, celui d’un « État non-État » a esquissé ce que pourrait être un État de droit qui pourrait à la fois respecter le pluralisme indispensable de la vie politique et donner au peuple la capacité de s’auto-organiser, d’autogérer les entreprises et les communes, de reprendre le pouvoir en tant que citoyenNEs sans frontières. Instaurer un État de droit ce serait alors pouvoir révoquer ses représentantEs qui devraient avoir un mandat sinon impératif du moins contrôlable en permanence. Instaurer l’État de droit, ce serait avoir des RIC, des référendums d’initiative citoyenne locaux ou nationaux, permettant au peuple de débattre des lois en dehors des périodes électorales.

Instaurer l’État de droit, ce serait lutter contre la professionnalisation et la marchandisation de la vie politique en réduisant drastiquement le coût des campagnes électorales, en empêchant les entreprises de faire des éluEs des instruments de leur lobbying, en interdisant aux grands groupes comme Bolloré, Bouygues ou Saadé, de s’approprier les médias.

Instaurer l’État de droit, ce serait surtout en finir avec le présidentialisme qui pourrit toute la vie politique en la réduisant à une course de petits chevaux, à une starisation de la vie politique et donc à une dépolitisation massive.

Nous sommes, à PEPS, partisans d’un État de droit fondé sur la démocratie réelle. Démocratie, qui comporte un contenu minimal : « la garantie des droits » et « la séparation des pouvoirs », évoquées par l’article 16 de la Déclaration de 1789. L’État de droit devient alors non seulement une forme ou une procédure mais aurait un contenu, une substance minimale, qui ne soit pas organisé par rapport à la seule loi du profit et du pouvoir des puissants. Un état de droit qui s’applique en fonction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, du préambule de la Constitution de 1946 et des pratiques issues de la Commune de Paris .

Nous participerons sur ces bases à toutes les manifestations appelées non pour défendre un État de droit abstrait mais pour l’égalité des droits et contre les néofascistes. 

PEPS, le 8 avril 2025