La République est en crise.
En ce 152ème anniversaire de la Commune de Paris, nous la prenons en modèle d’une forme moderne du gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple. C’est dans le mouvement social et écologiste que s’invente la nouvelle société. C’est ce projet communaliste que nous voulons continuer à PEPS.
La République a été une référence à l’Antiquité romaine et à un régime qui faisait par essence la distinction entre les citoyens et le reste de la population : femmes, enfants, métèques, esclaves. Elle suppose un pouvoir central, qui au nom de l’unité indivisible de la nation, refuse de reconnaitre les différences de classes, de genre, de race et nie les contre-pouvoirs. Les Républiques de l’époque moderne ont toujours gardé cette dimension excluante. En France, le droit de vote des femmes n’a pas un siècle, les droits des étrangers comme ceux des personnes handicapées sont systématiquement bafoués. Quant aux pauvres et aux sans-abris leurs droits, reconnus dans la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948, sont toujours niés dans la réalité.
La République française c’est aussi un régime colonial sanguinaire qui a saccagé des régions entières sous prétexte d’apporter la civilisation. La nature raciste et colonialiste de la République est inscrite dans son ADN, que ce soit par le massacre des Algériens à Paris pendant la guerre de décolonisation, par l’occupation toujours en cours de la Kanaky, mais aussi de Mayotte, où Darmanin expérimente la « Reconquête » ethnique que souhaite appliquer l’extrême droite dans nos quartiers.
La République c’est aussi le rejet des différentes cultures dans l’Hexagone, où tout a été fait pour « franciser » les Bretons, les Occitans, les Corses, les Basques…, qui devaient être « rééduqués » par la violence. La République est brandie à tout bout de champ comme une sorte d’idole face à toute contestation de l’ordre social. La République, symbole de la liberté contre la tyrannie monarchiste, s’est perdue, l’émancipation est à chercher ailleurs.
Nous défendons l’idée, plutôt qu’une énième République, d’une Seconde Commune.
La Commune de 1871 a marqué un tournant dans l’histoire de la République. La Commune ne fut pas menée qu’à Paris, mais aussi dans de nombreuses communes, et même dans les colonies comme à Alger. Elle donna une place centrale aux femmes et aux ouvriers, et reconnut l’autonomie des territoires. Surtout elle supposa des avancées sociales dans le travail, le logement et la vie quotidienne et instaura durant sa brève durée une démocratie directe incarnée par les clubs de quartiers et les mandats impératifs.
La Commune est donc le seul régime à avoir été plus avancé socialement et démocratiquement que les Républiques en France. C’est pourquoi nous affirmons qu’une Seconde Commune est possible, souhaitable, nécessaire pour tourner la page des Républiques capitalistes qui ont exploités la Terre et les corps, et commencer à écrire celle de la nouvelle Commune des communes.
De Karl Marx à Louise Michel, de Lénine à Murray Bookchin, la Commune a inspiré celles et ceux qui voulaient sortir de la République bourgeoise.
Aujourd’hui plus que jamais les nouveaux Communards doivent poursuivre et accomplir ces deux grandes avancées, la révolution sociale et le fédéralisme démocratique. Mais surtout faire la démonstration par les faits, que ce sont les bases d’une société écologique capable par l’entraide d’en finir avec le système capitaliste, ce mouvement d’exploitation si rationalisé et intense qu’il conduit la Nature à l’effondrement et au danger d’extinction, mettant en cause l’existence même de la communauté humaine.
Pour reconstruire une société écologique, nous avons besoin de structures d’entraide de grande ampleur : les services publics autogérés par les usagers et les travailleurs. Les réseaux de transports, d’eau et d’énergie, s’ils doivent engager une décroissance de leur impact polluant, sont indispensables. Ils doivent devenir des Communs, propriété de tous, protégés des appétits du privé.
À cette liste de flux vitaux, il faut rajouter les réseaux numériques, sources de connaissance infinie qui sont de plus en plus bridés par la double censure des Etats totalitaires et de leurs propriétaires GAFAM.
La seconde Commune sera une Commune des communs qui aidera chaque individu et chaque commune à atteindre son autonomie tout en pouvant être reliée aux réseaux collectifs, tant pour la production d’énergies (solaire domestique, géothermie, etc..), l’accès à la ressource en eau et aux transports, que pour le stockage et la protection de données.
La plus importante des structures d’entraide, c’est la sécurité sociale. Couvrant par l’effort de celles et ceux qui en ont les moyens et la force, les besoins de la vieillesse, de la famille, de la maladie, la Sociale doit s’étendre à la prise en charge de la dépendance, du handicap et à l’aspect de la vie qui sera le plus durement touché par la crise climatique : l’alimentation.
Pendant la pandémie nous avons tous vu l’importance de l’entraide alimentaire pour les plus précaires, tant dans les quartiers populaires, les campagnes, qu’en milieu étudiant. À sa création la Sécu était socialisée, c’est à dire qu’elle n’était pas la propriété d’un État, mais était gérée par les syndicats. L’une des dérives de la Vème république a été le détricotage et l’étatisation de ce contre-pouvoir social. La Sociale doit être séparée de l’État et redevenir un commun, avec une gestion socialisée et étendue à tous les secteurs nouveaux où le besoin se fait sentir : alimentation, logement, environnement, culture. La Sécurité sociale de l’alimentation sera une avancée écologique majeure en permettant aux paysan.nes d’écouler leur production à des prix fixes et rentables tout en donnant en retour la possibilité aux bénéficiaires d’orienter la production agricole globale vers le bio et l’agroécologie, le respect des animaux et la sortie du productivisme agricole.
Ce tournant social-écologique s’accompagne d’une exigence de démocratie sociale où les cotisant.es sont décisionnaires sur l’investissement qu’ils font dans les structures collectives. La Commune rendra aux travailleuses et travailleurs un pouvoir politique qui ne se résume pas à la mise à la disposition de leur force de travail.
Mais la démocratie directe, là où on travaille ou là où on habite, exige du temps, de l’apprentissage et de l’énergie. La question de l’égalité n’est pas résolue tant qu’il y a des métiers qui demandent un travail trop dur et prenant pour participer pleinement, par la politique ou par les loisirs, à la vie collective. Il n’y a donc pas d’émancipation sociale réelle sans autonomie mais surtout, sans le concept de rotation généralisée des tâches.
Hormis les tâches spécifiques nécessitant un haut degré de qualification qui resteront hors de ce processus, bien d’autres, souvent non socialement validées par la bourgeoisie, et pourtant d’intérêt général feront l’objet d’une rotation civique.
Présente notamment chez les Warlpiri d’Australie, mais également dans beaucoup d’autres sociétés, cette pratique permet que les emplois les plus pénibles ne soient pas occupés par les mêmes. La rotation permet à chacun.e de savoir pratiquer un grand nombre de tâches vitales, d’assumer ces choix de vie, et de garder force et temps à consacrer aux repos, loisirs et décisions collectives.
Notre économie est bloquée par la division du travail où seule la spécialisation et la domination du travail intellectuel sur le travail manuel peut apporter une sécurité de revenu. Dans le même temps au nom de la « valeur travail » la droite et une partie de la gauche stigmatise les chômeurs et l’absence de qualifications. Alors même que le capitalisme, n’est pas capable d’assurer un travail à toute la population, il se nourrit tant de la force de travail que de la détresse des exclu.es de l’emploi.
La division du travail, telle qu’elle existe dans l’industrie moderne, n’est que la suite de la division du travail qui a commencé depuis l’origine des temps historiques. Dès que la société a franchi les limites de l’économie primitive, la division sociale du travail a été le facteur fondamental de la division de la société en classes, car elle entraînait avec elle l’échange des produits fabriqués, la propriété privée, la prédominance du capital commercial et l’exploitation de la classe des producteurs.
Une société qui remettrait en cause la division du travail ne verra pas ses égoutiers mourir avant 60 ans des maladies dues à la pollution. Elle ne verra pas ses paysan.nes se pendre dans la solitude face aux dettes. Elle ne verra pas une élite urbaine intellectuelle déconnectée du reste de la société et du contact avec la terre. Dans les secteurs de la production de biens pour le quotidien et d’aliments et dans la réparation, cette rotation répond à la possibilité d’une autonomie à plusieurs échelles, de l’individu à la région. La rotation permet à chacun de se dégager du temps pour participer à la vie collective, et notamment à la démocratie ou à une expression artistique quelle que soit votre origine sociale.
Quelle démocratie ?
La Commune de Paris a inventé des institutions à partir des arrondissements, des commissions extra-municipales et des clubs de citoyen.nes où s’exerçaient la vigilance et le contrôle des élu.es.
Défendre la démocratie directe par en bas, c’est lui donner un ancrage territorial, économique et social.
Défendre la démocratie ce n’est pas prêcher la culture du consensus. La démocratie communaliste utilise certains outils de la démocratie représentative, mais différemment. Le vote, reste l’outil le plus simple pour formuler des opinions collectives. Il doit être amélioré en permettant selon les circonstances de comptabiliser des nuances subtiles d’opinion, l’abstention et le vote blanc notamment.
Le dissensus est la clef de la pérennité de tout système démocratique et l’expression de ses droits fondamentaux : les libertés de réunions, de conscience, de manifestation et d’expression en écoulent directement. Afin d’organiser le dissensus, il faut bien-sûr des votes, mais aussi des mandataires pour permettre un fédéralisme des communes au-delà des assemblées locales. Mais les mandats seront tous, dans la lignée de la Commune de 1871, impératifs, c’est-à-dire conditionnés à une tâche précise et immédiatement révoqués en cas de détournement du mandat ou de sa non-application.
En ce sens, aucune personne chargée de prendre des décisions à une large échelle ne le fera de sa propre initiative, mais toujours en partant des intérêts de sa commune. De plus, un système de non-cumul dans le temps des mandats sera mis en place. La culture du dissensus dans la Seconde Commune passera par un refus de toute ingérence dans la conscience et les opinions de chacun. Foi, philosophie, idéologie ne la concernent pas. Elle est laïque. Les dérives sectaires, d’où qu’elles viennent, n’ont pas leur place dans une société libre car elles sont avant tout des formes d’emprises et d’asservissement violentes des corps et de la pensée par des manipulations.
Le rôle des institutions régaliennes, – qui sont l’armature de base d’un État -, au sein de la Commune des communes, doit être redéfinie (comme pendant la Commune de 1871) où fut abolie l’armée permanente. Il faut que les fonctions régaliennes soient des services publics comme les autres, strictement séparées entre elles et surtout démocratiques ; par exemple, les soldats doivent pouvoir se syndiquer. Le refus de toute hiérarchie sociale, qui est l’ADN de la Commune, n’est pas un refus des hiérarchies de commandement opérationnel. Dans des cadres contraints il est indispensable d’avoir des chaînes de décisions clairement identifiées.
La question d’une police se pose. Si elle doit exister, elle ne doit pas être subordonnée à des logiques locales ou étatiques. Elle ne serait pas sous le contrôle d’un ministre de l’Intérieur, d’un préfet, voulant protéger la bourgeoisie, mais dans la continuité de la Police Judiciaire actuelle que Darmanin veut supprimer, c’est-à-dire d’abord au service de la justice.
La justice doit garder sa part de jurés tirés au hasard, mais elle devra s’orienter vers une justice restaurative. Car l’incarcération, si elle est nécessaire pour éviter des violences, aggrave l’état psychologique et radicalise trop souvent les délinquant.es. Punir ne suffit pas non plus à réparer les victimes. Dans la volonté de bâtir une société du soin, la Justice de la Commune des communes devra autant que possible réparer les injustices avec les personnes qui les ont vécues.
De même, l’armée doit être au service du peuple. Là encore la Commune de Paris et les mouvements libertaires peuvent donner l’exemple. La Catalogne de 1936 était en guerre contre le fascisme et les milices populaires du POUM et de la CNT ont mobilisé des centaines de milliers d’hommes et de femmes. De même, la Makhnovchtchina en Ukraine était une armée paysan.nes et a longtemps tenu tête aux armées blanches, avant d’être trahie par l’armée rouge. La Seconde Commune nécessitera donc bien une force de défense, qui sera fondée sur l’autodéfense populaire et se refusera à toute intervention impérialiste. Notons également que des corps d’armées comme les pompiers auront une fonction clef dans la lutte contre les effets du dérèglement climatique.
La Seconde Commune sera une Confédération de communes. Le pouvoir économique, les politiques culturelles et écologiques, l’instruction, relèveront des communes et des quartiers gérés en assemblées d’habitant.es. Les unités géographiques varieront bien sûr en taille d’une commune à l’autre. Les métropoles devront décroitre et donc se scinder en petites communes urbaines, en quartiers, afin de toujours disposer d’une échelle humaine pour prendre des décisions collectives.
La vie, la politique, tout s’organisera à l’échelle de la commune dans des assemblées d’usages et de coutumes dont l’organisation peut varier selon les circonstances mais avec l‘implication de l’ensemble des habitant.e.s, sans regard sur leur genre, leur nationalité, ou leur âge, et sans obstacle à leur présence. Des référendums peuvent être convoqués par les habitant.e.s. Les communes peuvent se fédérer via des représentant.e.s avec des mandats impératifs choisis parmi les habitant.e.s de la commune.
Ces fédérations peuvent prendre trois formes principales qui se superposent et se croisent.
- Les Pays : fédérations rassemblant des communes partageant une histoire, une langue et des traditions communes. Les fédérations de Pays permettent de mettre en commun la politique culturelle, sportive et éducative des communes, mais également de proposer des monnaies locales à plus large échelle, ou divers organes d’informations.
- Les fédérations de Bassins versants ou biorégions se consacrent à un rapport à la Nature et ses ressources autour de la plus vitale : l’eau. L’écologie étant le véritable clef-de-voûte de la Seconde Commune, conditionnant la moindre activité économique, les Bassins versants seront vitaux dans l’architecture communarde. Les espaces forestiers, les lacs et les cours d’eau, les glaciers ainsi qu’une part des prairies, seront des communs sous la responsabilité des Bassins versants. Alors que le capitalisme a poussé jusqu’à l’horreur l’exploitation des animaux d’élevage, chaque Bassin versant devra notamment envisager le nouveau rapport qui doit être engagé localement avec les animaux élevés sur le territoire, et avec le reste de la faune et la flore locale. Forme de contrat social entre humains et animaux, ces contrats devront assurer un équilibre écosystémiques sur le temps long. La nature, ravagée par le capital, doit être soignée et réenchantée en fonction des milieux naturels préexistants et imaginables à l’avenir.
- La Commune des communes sera une Confédération regroupant toutes les communes. Dotée d’un Gouvernement et d’un Parlement, elle dirige l’armée, rédige les lois qui sont appliquées dans toutes les communes, et se coordonne avec la Sécurité Sociale, les biorégions et les pays pour organiser des plans de décroissance de la consommation énergétique, assure la rotation du travail, mais aussi – par un budget central -, s’assure de l’équilibre économique entre les multiples monnaies locales en circulations. Elle fixe ainsi les montants minimum et maximum de revenus et de cotisations d’impôts.
Le Parlement sera composé de représentant.es avec des mandats impératifs révocables, élu.es à la proportionnelle intégrale à l’échelle de la Commune des communes. Les abstentions et les votes blancs donnant un nombre d’élu.e.s tiré.e.s au sort afin de leur garantir une représentation.
Le gouvernement sera composé de ministres du peuple, élu.es avec des mandats impératifs révocables thématiques, afin de veiller à l’application de points particuliers de la vie de la Commune, des mandats étant définis avant chaque élection par le Parlement. Tous les mandats à cette échelle seront soumis, en plus de la révocabilité, à un strict non-cumul dans le temps. Ce qui nécessitera un temps d’apprentissage à l’exécution de ces tâches.
En conclusion de cette ébauche de programme des institutions d’une nouvelle démocratie, nous voulons clarifier le choix du nom de « Seconde Commune ». Cet adjectif exprime le caractère utopiste du projet.
En effet, notre réflexion s’inscrit dans le cadre d’une Constituante en France. Or le véritable projet d’une Commune des communes serait fondamentalement Internationaliste : la Confédération ayant pour but d’agréger autant de communes que possible en faisant fi des frontières des États aurait une dimension d’emblée européenne et se confédérerait avec la confédération des Peuples d’Afrique, du Maghreb, du Moyen Orient, d’Amérique, d’Asie… Du Rojava au Chiapas, des Indignés à Occupy Wall Street, des révolutions arabes aux Gilets Jaunes, la Commune des communes vit et cherche à unifier pacifiquement les peuples.
La « Seconde Commune » de France porte en elle l’espoir d’être la dernière de France et de se fondre dans une Commune transnationale des peuples de la Terre.
PEPS, le 31 mai 2023