Prisons françaises : une dégradation de notre état de droit.

Les attaques de prisons survenues ces derniers jours sont-elles le fruit d’une entreprise terroriste visant à déstabiliser l’État ou simplement des actions isolées cherchant à dénoncer la politique gouvernementale en matière de justice ? 

Selon Le Monde, le bilan fait état, depuis le 13 avril, de 30 véhicules détruits ou endommagés à l’occasion d’une dizaine de faits ayant visés plusieurs locaux pénitentiaires, des logements d’agents ou des bâtiments de la protection judiciaire de la jeunesse. Des actions laissant apparaître des modes opératoires aussi différents que les motivations de leurs auteurs. Désormais le parquet national antiterroriste s’est saisi de plusieurs de ces faits, une enquête qui mobilise la sous-direction antiterroriste de la Direction nationale de la Police judiciaire (DCPJ), les directions zonales de la police nationale concernées par ces attaques et la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI), pour faire la lumière sur les motivations justifiant ces attaques et l’interpellation de leurs protagonistes.

Dans un tweet sur la plateforme X propriété du multimilliardaire néonazi Musk, Darmanin reconnait : « Il n’y a pas eu de blessés mais ces faits constituent des intimidations contre la République au moment où nous remettons de l’autorité et de l’ordre dans nos prisons. C’est un moment difficile, mais indispensable pour l’État et ses agents ». Dans la même veine que Trump, Darmanin préfère nier ses responsabilités en faisant croire que ce n’est qu’un « moment difficile ». Pourtant, il est dans la surenchère avec ses annonces comme celles de regrouper les grands trafiquants dans une prison spéciale, ou plus fou encore, celle de la construction en préfabriqué de 3000 nouvelles cellules pour la détention des courtes peines. Plutôt que d’envisager d’autres réformes en changeant de politique, le binôme Retailleau-Darmanin singent les thèses du FN/RN pour mettre de l’huile sur le feu, tels des pompiers pyromanes, en ignorant doctement que les mêmes causes entraînent toujours les mêmes effets. 

Que peut-on attendre de certains responsables politiques qui s’étonnent du « laxisme » de la justice, alors que la France est condamnée pour ses négligences et entorses au droit des personnes condamnées. En 2020, comme en 2023, la CEDH avait alors pointé l’existence d’un « problème structurel » et avait recommandé aux autorités françaises « d’envisager l’adoption de mesures générales » pour mettre fin au surpeuplement et améliorer les conditions de détention. Des conditions carcérales indignes pour le pays qui se plaît à rappeler son histoire et ses grands hommes tels Victor Hugo qui déclarait « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ». A l’heure de la casse des services publics, de la destruction des « communs » par des politiques néolibérales, aujourd’hui on assiste avec effroi à une inversion des valeurs hugoliennes avec la fermeture des écoles et la construction de nouvelles prisons.

Or comme le relevait justement Blaise Mao dans un article publié en 2016, « l’aberration carcérale est docilement acceptée par une société française indifférente au sort des détenus (…) Une résignation regrettable puisque, plus de deux siècles après son élévation au rang de peine de référence, la prison n’est toujours pas en mesure de remplir la triple mission qu’elle s’est assignée. Le code pénal de 1791 prévoit en effet que la réclusion des malfaisants sanctionne la faute, protège la société et favorise l’amendement et la réinsertion des condamnés (…) La diabolisation actuelle de l’image du prisonnier défie pourtant toute logique. Les « gens dangereux » qui peuplent les prisons françaises ont souvent le visage d’un dealer de cannabis encore mineur, d’un immigré sans-papiers ou d’un malade mental. Autant de populations fragiles dont la place n’est pas entre quatre murs. »

Comme le souligne l’OIP, l’État bafoue un principe « fondamental, car il s’agit de garantir à chaque personne incarcérée le droit de disposer d’un espace où elle se trouve protégée d’autrui et peut préserver son intimité, le principe de l’encellulement individuel est bafoué depuis sa proclamation en 1875. Consacré à nouveau dans la loi pénitentiaire de 2009, son application est sans cesse reportée. Car la surpopulation carcérale est un mal chronique des prisons françaises. En 1990, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires était de 124%. Il est de 118% avec 71 669  prisonniers pour 60 715 places (au 1er septembre 2022). La surpopulation se concentre dans les maisons d’arrêts, qui accueillent les personnes en attente de jugement et celles condamnées à des courtes peines de prison. Dans ces établissements, qui abritent plus des deux tiers de la population carcérale, le taux d’occupation moyen est de 139,7%, contraignant deux à trois personnes – parfois plus – à partager une même cellule et plus de 1 830 personnes à dormir chaque nuit sur des matelas posés au sol. Les plans de construction de nouvelles prisons qui se sont succédé depuis les années 1990 n’y ont rien changé. Car « on ne traite alors que les conséquences de la surpopulation, et non par les mécanismes ou les facteurs qui en sont à l’origine », explique la criminologue belge Sonja Snacken, experte auprès du Conseil de l’Europe. L’inflation carcérale que connaît la France depuis plusieurs décennies est avant tout le fruit de politiques pénales qui ont misé sur l’incarcération et une répression croissante des déviances sociales ». Dans une déclaration devant la représentation nationale le ministre Darmanin reconnaissait lui-même que le nombre de personnes condamnées pour des Infractions à la législation sur les stupéfiants correspondait peu ou prou au delta marquant la surpopulation carcérale. 

Une dérive sécuritaire, aux relents racistes, permet de justifier que l’Etat ignore et bafoue les principes élémentaires et droits fondamentaux auxquels la République aspire avec sa devise aux frontons des mairies. 

Par exemple, qu’est ce qui peut expliquer cette statistique effarante en Nouvelle Calédonie où 90% des détenus sont Kanak ? Une surreprésentation qui souligne les inégalités sociales autant que la défiance à l’égard d’une justice souvent perçue comme « blanche », voire « coloniale », d’autant plus qu’en proportion de sa population, la Nouvelle-Calédonie compte 2,5 fois plus de personnes détenues que l’Hexagone. Cette même justice « coloniale » qui préfère la déportation en métropole des militantEs Kanak en lutte contre le projet de loi modifiant le corps électoral et négligeant les accords passés en 1988.

Cette surpopulation carcérale qui est en constante augmentation depuis plusieurs décennies, entraîne à la fois une dégradation des conditions de travail des personnellEs comme celle des conditions de détention des personnes incarcérées. Face à cette situation gravissime, on peut comprendre le désarroi des familles et des proches. Selon les statistiques du ministère de la justice, au 1er Janvier 2025, en France, 79 300 personnes (81600 au 1er avril) sont détenues au sein d’un établissement pénitentiaire. Les prisons françaises, qui comptent seulement 62 363 places, n’ont jamais connu un nombre aussi élevé de personnes incarcérées. Un syndrome révélateur de la dégradation de notre état de droit qu’avec PEPS nous dénonçons sans relâche