Quand la guerre à la drogue devient une guerre aux libertés

Les propos de Gérald Darmanin, affirmant que « la fin de l’argent liquide permettrait d’éradiquer les points de deal », illustrent une dérive alarmante de la politique sécuritaire actuelle. Cette déclaration, qu’on pourrait croire sortie d’un scénario de fiction à la Phlip K. Dick, semble incarner l’incompréhension croissante entre un gouvernement qui privilégie des mesures simplistes et une réalité sociale complexe. Derrière ce type de discours se cache non seulement une vision déconnectée des problèmes de terrain, mais également une remise en cause insidieuse des principes démocratiques et des libertés individuelles.

Darmanin semble croire qu’en interdisant l’argent liquide, les trafics de drogues disparaîtront d’un coup. Un raisonnement simpliste, qui ignore les racines profondes d’un problème qui dépasse largement la question monétaire. Si l’argent liquide a effectivement un rôle dans certaines transactions illicites, le réduire à une solution miracle montre un profond déni des réalités sociales et économiques. Cette approche néglige le rôle des véritables réseaux criminels transnationaux, qui ont bien plus d’ingéniosité que ce gouvernement ne semble le comprendre.

Au-delà de l’aspect technocratique et répressif de cette idée, l’abandon de l’argent liquide est également symptomatique d’un projet plus large de surveillance généralisée. Derrière l’argument de la transparence économique, c’est une société où chaque transaction, chaque mouvement devient traçable, et où les plus vulnérables – personnes âgées, sans-abris, petits commerçants – sont les premières victimes. Ceux qui n’ont pas accès à des moyens de paiement dématérialisés, ou qui choisissent de vivre à l’écart des systèmes bancaires, risquent d’être marginalisés encore davantage.

Le discours sécuritaire ne se limite pas aux déclarations de Darmanin. La récente adoption de la loi Narcotrafic, censée répondre à la criminalité organisée, pousse encore plus loin cette logique autoritaire. En ciblant principalement les quartiers populaires, en particulier ceux où les populations les plus fragiles résident, la loi semble davantage un outil de contrôle social qu’une réelle réponse au problème du trafic de drogues.

La politique pénale mise en place par le gouvernement repose de plus en plus sur des mesures punitives et discriminatoires, comme l’extension de la saisie des téléphones portables des personnes qui consomment des stupéfiants. Cette mesure, introduite par une circulaire du 24 avril 2025, vise à rendre systématique la confiscation des téléphones des personnes interpellées, rendant obsolète la procédure simplifiée d’amende forfaitaire délictuelle (AFD) et alourdissant les procédures. Ce qui était censé alléger le travail des forces de l’ordre devient une nouvelle contrainte bureaucratique, et un pas supplémentaire vers une répression de plus en plus intrusive. Comme le rappelle le collectif Police contre la Prohibition dans une analyse détaillée sur les Réseaux sociaux : « En 2024, on dénombrait 288 000 mis en cause pour usage de stupéfiants. On peut logiquement prévoir la saisie d’autant de téléphones, et exploitation de leurs données, puisqu’il s’agit de prouver qu’ils sont, selon la circulaire, les « instruments directs de la commission de l’infraction »« . 

Remarquons que tout se fait par téléphone : le transport, les paiements, les photos souvenirs, l’identité, les billets de train, etc. Confisquer le téléphone pour un simple usage de stupéfiants, c’est ôter la possibilité de se déplacer, de travailler, et plus largement de vivre normalement !

Ce qui frappe, dans cette politique sécuritaire, c’est le contraste entre les traitements réservés aux puissants et aux modestes. Une sénatrice, prise en flagrant délit avec 22 kg de tabac de contrebande, échappe à toute poursuite, tandis que des jeunes consommateurs de cannabis voient leurs téléphones saisis pour un simple joint. Cela met en lumière une justice à deux vitesses, où les élites semblent à l’abri des conséquences, tandis que les plus vulnérables sont continuellement ciblés. Ce décalage entre les discours gouvernementaux et les réalités de terrain sape la crédibilité de l’État de droit et renforce le sentiment d’injustice.

L’abandon de l’argent liquide et les mesures d’intensification des contrôles liés à la détention de stupéfiants  dessinent les contours d’une société où la surveillance devient la norme. Derrière cette promesse d’éradiquer le trafic et de renforcer la sécurité, c’est en réalité un contrôle total des comportements qui est mis en place. Chaque geste, chaque échange pourrait être scruté, et la liberté individuelle devient une notion de plus en plus floue. La dérive est claire : une société où l’on sacrifie progressivement nos libertés pour un faux sentiment de sécurité.

Les défenseurs de ces politiques ne cessent de répéter que ce sont des réponses nécessaires face à une crise liée aux drogues, mais qu’en est-il des alternatives plus humaines et pragmatiques ? 

Depuis des années, des associations (comme Cannabis Sans Frontières qui co-organisait la 24ème Cannaparade – Marche pour la légalisation du cannabis, le samedi 24 mai à laquelle PEPS a distribué ce flyer à diffuser partout), appellent à une solution plus équilibrée : la dépénalisation, l’expérimentation de Cannabis Municipal Clubs pour réguler ce marché dans le cadre d’une économie sociale et solidaire et la création de structures d’accompagnement, comme on peut le lire dans le programme de propositions communalistes de PEPS pour les élections municipales en 2026. Ces propositions ne relèvent pas de l’angélisme, mais d’un pragmatisme qui entend fragiliser les réseaux criminels, tout en préservant les droits des citoyennEs et en respectant la santé publique. Elles visent à traiter la cause du problème et non ses symptômes.

Ce débat sur la « guerre à la drogue » met en lumière une fracture croissante entre les élites politiques et la société civile. D’un côté, un pouvoir qui cherche à gouverner par la peur et l’autorité, de l’autre, une population qui réclame des solutions plus cohérentes, justes et humaines. Alors que la politique actuelle semble davantage privilégier des mesures spectaculaires, souvent déconnectées des réalités, la question fondamentale reste celle de notre démocratie. Sommes-nous prêts à accepter la remise en cause de nos libertés sous prétexte de combattre les drogues et la criminalité ? Ou avons-nous la force de penser des solutions alternatives qui traitent les causes profondes, tout en préservant ce qui fait la richesse de notre modèle démocratique : la liberté, la justice et le respect des droits fondamentaux ?

La « guerre à la drogue » comme l’envisageait Robert Nixon en 1971 et telle qu’elle est menée aujourd’hui, est en réalité une guerre aux libertés ciblant certaines populations jugées indésirables. Et c’est à la société toute entière de décider si elle préfère se soumettre à un ordre répressif et autoritaire, ou si elle choisit d’élargir son horizon à des solutions plus justes et respectueuses des droits de chaque être humain. Le vrai défi ne réside pas dans la lutte contre les drogues, mais dans la préservation de nos valeurs fondamentales.