« Simplifier » pour mieux détruire : le nouveau visage de la dérive autoritaire et écocide

Il y a des mots qui anesthésient. « Simplification » est de ceux-là. Prononcé sur tous les tons, décliné à toutes les sauces, le mot semble si plein de bon sens qu’il trompe la vigilance. Et pourtant, derrière sa façade lisse et technocratique, la loi « portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie », dissimule une offensive frontale contre le droit de l’environnement, la démocratie délibérative, et les garde-fous de l’intérêt général.

Cette loi, comme celle de la « simplification de la vie économique » n’est pas une énième réforme administrative. Elle est un coup d’État silencieux contre l’écologie, un manifeste productiviste déguisé en mesure. Ces textes de lois orchestrent un affaiblissement méthodique de toutes les protections environnementales : suppression des zones à faibles émissions (ZFE), présomption d’intérêt public majeur pour les grands projets d’aménagement, fragilisation de l’objectif de zéro artificialisation nette, accélération de la construction de réacteurs nucléaires sans respect des normes environnementales… La liste de ces renoncements est longue et la méthode pour les valider est redoutablement efficace. Sous couvert de fluidifier les procédures, on balaie les exigences, on contourne les débats, on efface les obstacles.

Ce texte, soutenu par une majorité relative sous l’impulsion d’une droite alliée au RN, convertie au climatoscepticisme, est l’expression française d’une tendance internationale inquiétante : un retour de bâton qui frappe très fort sur l’écologique depuis la fin de la crise COVID et l’explosion d’un autoritarisme économique qui sacrifie de manière toujours plus décomplexée le vivant et le non-vivant sur l’autel de la croissance. Le cas français n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une dynamique globale où la dérégulation devient une vertu cardinale, un marqueur de modernité, un slogan pour gouverner. En Europe, le projet de loi Omnibus de simplification porté par la Commission européenne va dans le même sens. Ailleurs, les attaques à la « tronçonneuse » brandies par le multimilliardaire Elon Musk ou le président argentin Javier Milei, inspirent d’autres gouvernants qui confondent efficacité et brutalité, simplification et suppression.

Cette convergence est d’autant plus perverse qu’elle manipule le langage. Ce n’est pas la complexité qui est visée, mais la régulation. Ce n’est pas la bureaucratie qu’il faut réviser, mais les normes protectrices qu’il faut abroger. Derrière l’idée faussement neutre de « simplifier », c’est une contre-révolution néolibérale qui s’accomplit : celle qui oppose la compétitivité à la sobriété, qui préfère l’empressement à la concertation, qui sacrifie l’écologie au profit d’un mercantilisme court-termiste. Une rhétorique qui prétend parler au nom du peuple tout en l’écartant méthodiquement des processus décisionnels (restriction des enquêtes publiques, limitation du droit de recours des associations environnementales…). La réduction du rôle de la Commission nationale du débat public ou la marginalisation des agences comme l’OFB, l’Ademe ou la multiplication de restrictions  dans les laboratoires de recherche « sensibles » sont à ce titre particulièrement révélatrices. Tout comme la fusion depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avec l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) en une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la transparence et le contrôle de ces activités à hauts risques. 

L’un des symboles les plus frappants de cette offensive idéologique est la relance massive de la filière nucléaire. Le contrat de filière 2025-2028, signé à peine quelques jours avant le vote de la loi de simplification, acte la construction de six nouveaux réacteurs EPR2 à horizon 2038 et une option sur 8 supplémentaires. Loin d’être un choix rationnel fondé sur les données actuelles, ce programme est avant tout un pari au coût très élevé, guidé par des impératifs industriels (alimentation de mega data-centers par exemple), politiques et militaires plus que par une réelle stratégie de transition vers un mix énergétique plus équilibré avec les énergies renouvelables. 

On parle ici de près de 80 milliards d’euros d’investissements, d’un prix garanti pour l’électricité nucléaire, d’une dette publique qui enflera pour soutenir une technologie dont les limites techniques, financières et sociales sont déjà connues. Sous prétexte de transition écologique, on réactive en réalité un modèle énergivore, centralisé, faiblement démocratique et très ruineux. Ce retour au premier plan du nucléaire participe de la même logique que la loi de simplification : celle du passage en force et d’une destruction généralisée. 

Malgré la faible rentabilité économique annoncée de ces EPR, les liens étroits entre le nucléaire civil et militaire (filière d’approvisionnement, transfert de connaissances, rôle de la recherche via le CEA, fabrication de Plutonium) renforcent chez nos dirigeants la conviction qu’il faut continuer dans la voie tracée il y a 80 ans mais sans plus aucune concession. Sur le plan militaire, c’est au nom de la souveraineté de la défense nationale à un moment ou les tensions géopolitiques demanderaient un moratoire mondial,  sur le plan économique on cherche coûte que coûte à sécuriser l’approvisionnement électrique et cela au détriment de la sûreté de fonctionnement.

Et comme un clou sur le cercueil de la transition écologique, l’adoption d’un moratoire pour les EnR et d’un amendement d’affichage de la surenchère pro-nucléaire du couple LR-RN pour la réactivation hypothétique de la centrale de Fessenheim, heureusement rejeté en vote solennel quelques jours plus tard à l’Assemblée nationale , ne présage rien de bon pour notre avenir. Avec des réacteurs dont on voudrait prolonger l’exploitation jusqu’à 50 puis 60 ans (alors qu’ils avaient été construits pour une durée de vie de 30 à 40 ans) grâce au grand carénage et pour un coût variant de 50 à 200 milliards d’euros supplémentaires, statistiquement, le nombre d’incidents et leur gravité  ne peut qu’augmenter.

Ce que l’on bafoue aujourd’hui, ce n’est pas seulement une ambition écologique, mais une certaine idée de la démocratie. La démocratie environnementale – celle qui fait une place aux citoyennEs, aux scientifiques, aux associations, aux contre-pouvoirs – est peu à peu démantelée. Le débat est escamoté, la consultation devient formelle, la participation un obstacle à « lever ». Dans ce contexte, parler de « simplification » revient à travestir une violence politique en geste pragmatique.

Le moment est donc grave. Nous faisons face à une régression historique, un tournant qui engage bien plus que des procédures : il engage notre capacité à vivre ensemble dans un monde habitable, à léguer autre chose que des ruines réglementaires aux générations futures. Il est encore temps d’agir, mais le temps presse et ce n’est pas l’AN, le Sénat ou le gouvernement sous menace continue de censure qui nous y aideront.

Simplifier, oui — mais pour renforcer le bien commun, pas pour le liquider, pour mettre en Å“uvre des alternatives, se diriger vers des solutions lowtech autant que possible et surtout arrêter la course « au progrès pour le progrès Â» et au gigantisme sans fin. Lutter contre l’inaction climatique, protéger les écosystèmes, défendre la biodiversité, garantir la justice environnementale : voilà les vrais défis de notre époque sur lesquels PEPS s’engage avec son projet d’écologie de libération. Ce n’est pas en les contournant qu’on les relèvera, mais en les affrontant lucidement, collectivement, démocratiquement comme PEPS le suggère avec ses propositions communalistes.

Il est temps de dire non à cette simplification qui détruit. Il est temps de réaffirmer, avec force et conviction, que l’écologie n’est pas un luxe mais une exigence. Une exigence de justice, de paix, et de survie sur Terre qui passera par des contre-pouvoirs à la hauteur des enjeux.