Une autre gestion de la dermatose nodulaire est possible
La dermatose nodulaire des bovins n’est pas une simple crise sanitaire de plus. C’est un révélateur brutal de ce que produit la combinaison d’un modèle agro‑industriel épuisé, de politiques de libre‑échange comme pourrait l’être l’accord UE‑Mercosur, et d’un État qui gère les territoires ruraux à coups d’arrêtés, de gendarmes, de blindés et désormais de gaz lacrymogènes projetés depuis des hélicoptères. Pour une écologie populaire et sociale, la question n’est pas seulement « comment contenir le virus », mais comment protéger les éleveurs, les animaux, les milieux et notre souveraineté alimentaire, sans se contenter de rustines technocratiques qui préparent les crises suivantes.
Sur le terrain, la DNC, maladie virale très contagieuse pour les bovins mais sans risque pour l’être humain, provoque des pertes de production, des abattages massifs, des blocages de troupeaux et un effondrement de revenus pour des exploitations déjà au bord de la rupture. Les foyers se multiplient, les décisions d’abattage tombent parfois sans concertation réelle, et les éleveurs se retrouvent pris dans une mécanique qu’ils n’ont ni voulue ni décidée, mais dont ils supportent l’essentiel du coût économique et psychologique. Cette violence institutionnelle s’ajoute désormais à une violence physique : usage de gaz lacrymogènes en milieu rural, parfois par voie aérienne, contre des paysans rassemblés autour de leurs fermes.
Les gaz lacrymogènes ne sont pas des outils neutres. Ce sont des agents chimiques irritants, capables de provoquer troubles respiratoires et autres atteintes à la santé, dont les effets dépendent de la concentration et de la durée d’exposition. Leur usage massif en milieu rural ne touche pas seulement les manifestants, mais aussi les animaux, les sols, l’eau et les cultures, avec des risques de contamination des milieux encore largement sous‑documentés. Gazer par hélicoptère des agriculteurs qui se battent pour la survie de leur ferme, c’est envoyer un message politique clair : la parole des premiers concernés doit se taire face à la technocratie sanitaire et au productivisme agro‑industriel.
Cette crise frappe une filière bovine prise en étau entre endettement, pression permanente à la baisse des prix et mise en concurrence avec des importations issues d’accords comme l’UE‑Mercosur, où les coûts de production sont bien plus bas, les normes sociales et environnementales moins exigeantes, et qui reposent de plus sur une déforestation invisible parce que largement externalisée vers d’autres régions du monde. Pour beaucoup d’éleveurs, la DNC n’est pas seulement un épisode sanitaire, mais un accélérateur de décrochage social : pertes non couvertes, choc psychologique lié à la destruction des troupeaux, sentiment d’être sacrifiés pendant que l’on continue d’ouvrir le marché à des viandes produites dans des conditions qui seraient interdites chez nous.
Pourtant, des alternatives existent, comme le montre la gestion préventive mise en œuvre en Suisse : vaccination ciblée dans les zones atteintes, abattage partiel et non total, quarantaine des animaux concernés et suivi rigoureux des troupeaux. Cette approche, plus respectueuse du vivant, permet d’éviter l’abattage de masse et la panique économique. En France, plusieurs formations politiques, dont La France insoumise, plaident depuis l’été pour ces mêmes mesures, ainsi que pour la négociation avec l’Union européenne afin de déclassifier la maladie et permettre une gestion différenciée dans les territoires.
Plus largement, il s’agit de refuser la gestion purement répressive et technocratique. L’État doit décréter un moratoire sur les abattages les plus contestés, réévaluer les barèmes d’indemnisation pour couvrir réellement les pertes de revenus, la durée d’improductivité et le préjudice moral, mettre en place un véritable accompagnement psychologique et associer enfin les éleveurs, les vétérinaires de terrain et les collectivités aux décisions prises en préfecture. Il doit aussi faire la lumière sur les effets des gaz lacrymogènes en milieu rural et interdire leur usage aérien.
Mais la sortie de crise exige plus qu’une réponse d’urgence. Pour une écologie populaire et sociale, la DNC doit être l’occasion d’assumer un protectionnisme écologique et social de rupture : application de clauses miroirs réellement contraignantes, refus des accords commerciaux qui aggravent la concurrence déloyale, et défense du droit des peuples à organiser leur souveraineté alimentaire et sanitaire.
Une stratégie de long terme devrait s’articuler autour de trois blocs complémentaires, à mettre en œuvre dans le même temps :
– Justice sociale : sécuriser les revenus pendant et après les foyers (indemnisations complètes, moratoires sur les dettes, fonds d’urgence abondé par l’État et les grandes enseignes), accompagnement psychologique et droit à la reconversion choisie pour celles et ceux qui veulent sortir du modèle actuel.
– Transformation écologique de l’élevage : densités plus faibles, diversification des productions, amélioration du bien‑être animal, réduction des transports d’animaux vivants, relocalisation des abattages, recours accru à des solutions de biocontrôle et de gestion écologique des milieux.
– Souveraineté démocratique : comités locaux associant éleveurs, salarié·es, habitants et collectivités, droit à la contre‑expertise financée publiquement, et restauration collective comme levier pour soutenir une viande locale, écologique et sociale.
Enfin, cette tribune n’oublie pas la voix des animaux : la douleur des éleveurs et éleveuses face à la destruction de leurs troupeaux renvoie à la violence d’un système d’hyper‑production carnée qu’il faut transformer en profondeur. Redonner sens au travail paysan, réduire notre consommation de viande et restaurer la place vitale des animaux dans la fertilité des sols sont aussi des voies d’émancipation.
La dermatose nodulaire ne doit pas être gérée comme une parenthèse à refermer au plus vite avant de revenir à la « normale ». Elle est l’un des premiers signaux forts d’un monde où crises sanitaires, climatiques et commerciales vont se multiplier. Pour PEPS, en faire un dossier emblématique, c’est montrer ce que peut être une écologie populaire : qui refuse la militarisation de la gestion des crises, qui défend le vivant sous toutes ses formes, et qui assume un protectionnisme écologique pour protéger à la fois la santé, l’emploi, les terres et la dignité paysanne.