
Alors que l’Assemblée nationale débat d’un projet de proposition de loi sur le droit à l’aide à mourir, incluant euthanasie et suicide assisté, une partie de la gauche reste silencieuse, voire séduite par une vision libérale de la fin de vie. Pourtant, les implications de ces textes dans une société profondément inégalitaire et validiste devraient alerter toutes celles et ceux qui aspirent à une transformation sociale radicale.
Nous affirmons avec force que ces débats nécessitent l’intervention des pensées et luttes antivalidistes. Il est temps que la gauche de rupture ouvre un espace politique et théorique à ces perspectives trop souvent marginalisées, et qu’elle prenne clairement position contre une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté dans les conditions actuelles. Refuser l’euthanasie et le suicide assisté n’est pas un repli conservateur : c’est un acte de lutte pour une société du soin, de la solidarité, de la vie digne pour toutes et tous, valides ou non.
Un choix faussement libre dans un monde qui abandonne.
On parle de « libre choix », de « mort dans la dignité ». Mais comment ce choix pourrait-il être libre dans une société qui ne garantit même pas les conditions minimales d’une vie digne à celles et ceux qui souffrent ? Quand les soins palliatifs sont insuffisants, les soignantEs à bout, les aidantEs épuiséEs, et les personnes handicapées ou gravement malades confrontées à la misère, à la solitude, à la relégation ?
C’est là que le discours sur la liberté s’effondre. Il masque une réalité brutale : celle d’une société qui refuse d’assumer le coût et la responsabilité de l’attention aux plus vulnérables. Dans ce contexte, légaliser l’euthanasie revient à institutionnaliser une politique de renoncement collectif au soin.
Le validisme, cet impensé qui tue.
Le validisme, c’est l’ordre social et culturel qui hiérarchise les vies selon leur degré d’autonomie, de productivité, de conformité corporelle et psychique. Dans une telle société, les personnes non valides sont systématiquement vues comme un poids, un coût, une anomalie. La dépendance y est vécue comme une honte, une déchéance. Comme si nous avions oublié que nous sommes en réalité tous interdépendants.
Accepter l’euthanasie dans ce contexte, c’est conduire à courir le risque d’en faire une solution attendue, voire incitée, pour celles et ceux dont la vie dérange l’ordre dominant. Plusieurs pays l’ont déjà montré : ce sont souvent les personnes les plus précaires, handicapées, isolées, psychiquement vulnérables, qui formulent cette demande, non par rejet de la vie, mais faute de perspective sociale vivable.
Refonder la gauche sur une éthique du soin et de la justice sociale.
Nous appelons les organisations qui se réclament de la gauche à sortir de leur ambivalence ou de leur silence sur ce sujet. La gauche, si elle veut défendre les droits individuels de manière réellement émancipatrice, ne peut pas les penser hors des rapports sociaux. Elle doit rompre avec le logiciel libéral qui les présente comme des choix abstraits, indépendants des conditions matérielles et des dominations. Cela suppose de reconnaître le validisme structurel qui gangrène notre société, et de ne plus détourner le regard de l’état dramatique de notre système de santé et d’accompagnement médico-social.
C’est pourquoi nous demandons un positionnement clair : non à l’euthanasie dans une société incapable d’assurer le droit à des soins et des accompagnements de qualité, non à l’extension d’un droit à mourir tant que le droit à vivre dignement n’est pas garanti.
Ce combat s’inscrit dans une perspective émancipatrice : celle d’une société qui refuse de hiérarchiser les existences, qui protège la vie dans toutes ses formes, qui déploie massivement des politiques publiques de soin, de solidarité, de présence humaine. Une société où les métiers du soin sont revalorisés, où les soins palliatifs sont un droit effectif, et où l’accompagnement de la fin de vie se fait dans l’écoute, le respect, la tendresse.
Pour un antivalidisme vivant et stratégique.
Ce débat révèle une faiblesse de nos espaces militants : trop souvent, les luttes antivalidistes sont reléguées à la périphérie des priorités politiques. Or, le validisme structure l’ensemble des rapports sociaux : travail, santé, autonomie, citoyenneté. Il est un pilier du capitalisme comme de l’ordre patriarcal, raciste, écocidaire.
Nous appelons à faire de l’antivalidisme un axe structurant des programmes et stratégies de la gauche radicale. Cela passe par la prise de parole des concernéEs, par la critique radicale de la norme dite d’autonomie, souvent confondu avec la dépendance, et par la réinvention de nos valeurs communes à l’aune de la vulnérabilité partagée.
Il ne peut y avoir de révolution au XXIe siècle sans soin. Il ne peut y avoir de socialisme sans une politique de la vie vivable pour toutes et tous, jusqu’au bout.
Il est temps que la gauche refonde ses stratégies à partir des marges, là où la vie est le plus menacée, et donc aussi là où l’émancipation doit commencer.
Fin de vie, le scandale est dans l’abandon, pas dans l’interdit.
En 2023, plus de 50 % des personnes en besoin de soins palliatifs n’ont pas eu accès à une prise en charge adaptée.
La France compte 7 511 lits identifiés en soins palliatifs pour plus de 300 000 décès par an.
Le projet de loi sur la fin de vie se contente d’afficher un droit opposable aux soins palliatifs, sans en garantir les moyens réels. Il reproduit ainsi le leurre du droit opposable au logement : une promesse creuse, sans volonté politique ni ressources à la hauteur, qui masque l’abandon des plus vulnérables.
Le projet de loi sur les soins palliatifs fixe un budget totalement insuffisant et se limite à créer un droit opposable aux soins palliatifs à l’instar du droit opposable au logement dont on connaît pourtant tous les résultats effectifs
20 départements ne disposent d’aucune unité de soins palliatifs.
Dans les pays ayant légalisé l’euthanasie (Pays-Bas, Belgique, Canada), des cas d’euthanasie de personnes atteintes de dépression, de troubles anxieux ou vivant dans la pauvreté ont été documentés.
La Cour des comptes et la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP) pointent le sous-financement chronique, la désorganisation, et le manque de formation des soignants.
Odile Maurin.
=> L’appel du Front de Gauche Anti-Validiste contre la loi euthanasie
Sources :
La Cour des comptes appelle à développer l’offre de soins palliatifs à domicile et en EHPAD. Selon un rapport rendu à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, la moitié des personnes qui auraient besoin de tels soins n’y ont pas accès.
État des lieux des soins palliatifs en France.
https://www.larevuedupraticien.fr/article/etat-des-lieux-des-soins-palliatifs-en-france
Soins palliatifs : les recommandations de la Cour des comptes pour « renforcer » les moyens hors de l’hôpital.
La Cour des comptes a publié ce mercredi 5 juillet un rapport qui appelle à « renforcer » les moyens palliatifs au domicile et dans les maisons de retraite, actuellement « lacunaires » en l’absence de mise en place d’un « grand plan de formation ».
La pratique controversée de l’euthanasie psychiatrique et les pays où elle est pratiquée.
https://www.bbc.com/afrique/monde-59620732
Centre National des Soins Palliatifs et de la Fin de Vie.
Offre de soins palliatifs : données actualisées.
La Direction de la Recherche des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES) vient de publier les données, actualisées au 31 décembre 2023, concernant l’offre de soins palliatifs. En voici un résumé en trois graphiques.
ATLAS des soins palliatifs et de la fin de vie en France.
https://www.parlons-fin-de-vie.fr/wp-content/uploads/2023/03/atlas-2023.pdf
Rapport de la Cours des Comptes sur les soins palliatifs.
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-soins-palliatifs
Rapport d’activité de la SFAP.
https://www.sfap.org/system/files/rapport-activite2023-vdef_compressed_0.pdf
SFAP : FIN DE VIE LES DONNÉES DU DÉBAT.
https://sfap.org/system/files/fin_de_vie_-_les_donnees_du_debat_mars2023.pdf
FIN DE VIE : les enjeux d’une loi en faveur d’une mort programmée.
COLLECTIF DÉMOCRATIE, ÉTHIQUE.
ET SOLIDARITÉS (CDES).
https://collectif-des.fr/wp-content/uploads/2025/04/AVIS-WEB2.pdf
Soins palliatifs : 7 chiffres pour comprendre le manque de moyens.
Le projet de loi sur l’aide à mourir », présenté mercredi en conseil des ministres, veut renforcer l’accès à ce type de prise en charge alors que 50 % des besoins ne sont actuellement pas couverts en France.