COP 28 : le bal des lobbyistes

La COP 28 devait être un point important, pour donner une impulsion à l’action climat, qui ne décollait pas. En effet, le baromètre est au plus mal : les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent à augmenter – plus 1,2 % entre 2021 et 2022 – et un rapport de l’ONU annonce qu’au rythme actuel, les 1,5° seront intenables. Bien plus, il prévoit que sans effort supplémentaire, le terre se réchaufferait de 2,5° à 2,9° en 2100. Une catastrophe, alors que déjà les méga-incendies brûlent les forêts un peu partout dans le monde, les inondations se multiplient, les sécheresses et les périodes de chaleur extrêmes brûlent les récoltes et rendent des territoires invivables, laissant attendre des migrations climatiques.

De son côté, l’Agence internationale de l’énergie rappelle qu’aucun nouvel investissement dans des projets d’exploitation du pétrole, du gaz ou du charbon n’est compatible avec l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050.

Bref, il est temps d’agir !

A l’ordre du jour, le bilan de la COP de Paris (2015), la mise en place du fonds « pertes et dommages » dont le principe a été décidé à la COP 27, l’organisation d’une sortie rapide et équitable de l’exploitation des énergies fossiles, l’évolution des systèmes agricoles et alimentaires mondiaux au changement climatique. Un menu important, sur des sujets qui « fâchent » entre les pays du Nord et les pays du Sud.

I – Un contexte particulier …

Difficile d’évacuer ces sujets pour les firmes multinationales, il faudra donc proposer des solutions « qui ne mangent pas de pain », ou « pour après – demain » et occuper l’espace par une présence massive de lobbyistes, qui vont partout, plus forte encore que de coutume, et bien « briffés ».

L’enjeu est grand pour les firmes multinationales. Dans ce domaine, la France n’est pas mal « servie ». D’après une étude de Greenpeace et d’OXFAM, nos 63 milliardaires, par leur capital financier, émettent autant de gaz à effet de serre que la moitié de la population française.

Certes, le gouvernement est toujours derrière à l’appui. Témoin, la bataille à Bruxelles pour exclure les services financiers du champ d’application d’une directive qui vise à rendre les acteurs économiques et financiers responsables de leurs activités sur l’ensemble de leur chaîne de valeurs dans le monde (production d’énergies fossiles, déforestation, pollution des sols, destruction des écosystèmes, droit humain et du travail) 1. Il faut défendre nos banques, très investies dans ces domaines !

Mais on ne peut pas ne pas parler du cadre dans lequel se déroulera la COP, aux Emirats arabes unis, 7ème producteur mondial de pétrole, à Dubaï qui émet 21,8 tonnes de CO² par personne et par an. Le président de la COP, Sultan al-Jaber, préside également la société ADNOC, la première compagnie pétrolière des Emirats et est aussi ministre de l’Energie. Il sera largement appuyé dans l’organisation courante de la COP par des salariés de son entreprise. Enfin, information largement reprise par les médias, des documents recueillis par des journalistes indépendants du Centre for climate Reporting (CCR)2 montrent que le Président de la COP entend profiter de l’occasion pour conclure des marchés dans les énergies fossiles avec 27 gouvernements.

Enfin, pour éviter tout suspens, le Président, interviewé, donne ainsi son avis : « la demande d’énergie ne pourra qu’augmenter, car un demi milliard de personnes supplémentaires rejoindront notre planète… par conséquent, le défi critique de ce siècle est de réduire considérablement les émissions, tout en maintenant un développement durable robuste

Ainsi construit, il ne faut guère attendre de cette COP, beaucoup, sinon le minimum que les firmes multinationales peuvent concéder pour se donner une petite peinture de capitalisme « vert ». Cette impression pourrait valoir pour les thèmes qui seront discutés.

II – Mise en place du fonds « pertes et dommages ».

Comme son nom l’indique, la COP 27 avait créé le fonds pour aider les pays du Sud à faire face aux événements météorologiques extrêmes, mais aussi, dans une vision de plus long terme, à la sécheresse et à l’élévation du niveau de la mer.

Depuis, les choses n’ont pas évolué et le fonds en question n’est pas encore opérationnel. Dès qu’il y a de l’argent en cause, les pays du Nord se rétractent en rentrant dans leur coquille. Le principal blocage, c’est son caractère contraignant, et les pays du Sud seront attentifs à l’organisme qui gérera le fonds.

Il est vraisemblable qu’il ne sortira rien de cette COP sinon quelque chose de bancal.

Les pays du SUD ont hélas l’habitude. La |promesse de 100 milliards de dollars par an à la COP de Copenhague en 2009 n’a été qu’une seule fois tenue en totalité.

Et pourtant, ce n’est pas l’argent qui manque. Les ONG en ont des idées. Ainsi, Greenpeace et OXFAM proposent pour les milliardaires l’instauration d’une ISF climatique, calculée en fonction du patrimoine et de la quantité de CO² produite.

III – Sortie de l’exploitation des énergies fossiles

Le fait que ce point soit à l’ordre du jour est le signe que le sujet ne peut plus être évité aujourd’hui, grâce à la pression sociale. Il faut se rappeler que l’accord de Paris, en 2015, salué en grande pompe, n’avait mentionné à aucun endroit la responsabilité des énergies fossiles dans le changement climatique.

Il sera donc parlé d’énergies fossiles, mais le Président Sultan al-Jaber a bien exprimé le point de vue général des lobbyistes venus en nombre. On aura droit aux arguments habituels : « il faut répondre à la demande, qui augmente », « oui, mais je développe aussi les énergies renouvelables » ; « la technique va régler tout cela » ou, pour les plus audacieux « oui, mais il faut se donner du temps ». Mais pas de mise en cause du modèle de « développement », re-baptisé développement durable.

Faute des COP, il nous reste à nous battre contre contre les banquiers qui les financent, contre les grands projets d’investissement, comme l’oléoduc EACOP de Total qui s’étend sur près de 1500 km à travers l’Ouganda et la Tanzanie. De tels projets – il y en a d’autres – augmentent les émissions de gaz à effet de serre mais, pire encore, portent des graves atteintes aux droits humains et aux populations autochtones, on ne le dit jamais assez.

IX- Evolution des systèmes agricoles et alimentaires

Ces systèmes sont fortement impactés par le changement climatique et la chaîne industrielle de l’agro-business imposée par la mondialisation – industrie chimique, production agricole, transformation des produits, distribution, sans compter les nombres de transports, – en fait un gros émetteur de gaz à effet de serres, 30 % du total. Elle place en outre le petit producteur ou le paysan dans une position difficile que traduit bien Via Campesina.

Cette multitude des acteurs « produit » aussi, si l’on peut dire, de nombreux lobbyistes.

Via Campesina – qui ne viendra pas à Dubaï en solidarité avec la Palestine – n’en expose pas moins sa position : « plus de COP corrompues ! Justice climatique maintenant » et développe ainsi son point de vue : « soutenir la souveraineté alimentaire à travers une transition juste. Cette approche reconnaît et défend les droits des paysans, promouvant l’agro-écologie comme moyen de refroidir la planète…L’agro-écologie pratiquée par les communautés paysannes et autochtones offre d’immenses potentialités pour aider à atténuer et à s’adapter aux impacts du changement climatique tout en soutenant et en améliorant le bien-être communautaire, la démocratie, la coopération, la paix »

et Via Campesina poursuit « Lors de la COP28, les multinationales de l’agrobusiness feront valoir leurs intérêts à travers ce que l’on appelle l’Agenda des systèmes alimentaires et de l’agriculture et l’Agenda sur les paysages régénératifs. De nombreux·euses leaders mondiaux·ales ont déjà signé la Déclaration des dirigeants sur des systèmes alimentaires résilients et une agriculture durable, lancée par la présidence de la COP où sévit un greenwashing décomplexé3. Nous rejetons ces tentatives de greenwashing de l’agrobusiness et de renforcement des marchés et des technologies des entreprises. Sous la bannière de la durabilité, ces initiatives font plus pour concentrer le pouvoir et les ressources que pour réduire réellement les émissions de la chaîne alimentaire industrielle, qui représentent plus d’un tiers du total des émissions mondiales ! »

V – Et demain ?

Désespérant ? C’est en 1995 à Berlin, sous l’égide des Nations Unies, que la première Conférence des parties (COP) s’est réunie, la première d’une longue série. Cette période coïncide avec le tournant libéral du capitalisme, auquel on associe les noms de Reagan et de Thatcher, avec la mondialisation qui va entraîner l’éclatement des frontières économiques et l’apparition du concept de « développement durable ».

Depuis presque 30 ans, comment évaluer le bilan de ces COP ? Ses résultats sont maigres face aux émissions de gaz à effet de serre, et que dire du fameux « développement durable » qu’il faudrait plutôt appeler « greenwashing ». Dans cette période, les Etats du Nord sont passés de plus en plus sous la coupe des firmes multinationales jusqu’à soumettre leurs politiques au jugement des tribunaux privés ; le pire, c’est que c’était consentant.

Les COP n’échappent pas à cette tendance. 7200 accréditations ont été accordées à des personnes affiliées au monde des énergies fossiles depuis 2009 ( la COP de Copenhague). Que pèse la voix des Etats du Sud, qui n’ont pas des moyens d’une grande représentation ? Et celle des ONG, pas toujours les bienvenues.

Disons le : les COP n’ont rien de démocratique, les rapports de forces penchent du côté de la finance. Mais est-il admissible d’abandonner la politique aux firmes multinationales, à la finance qui ne connaît que l’argent, qui est sa force ? N’est-il pas l’heure du peuple, source de tout pouvoir ?

Le chaos vers lequel nous nous dirigeons n’est pas une crise passagère . Il ne sera pas réglé par les puissants de ce monde, car c’est « leur » système qui ne marche plus, et voilà ce qu’ils en ont fait du monde !

Et ils n’ont à nous proposer maintenant qu’un terne greenwashing.

L’occasion de la COP 28, sans doute, a conduit 60 présidents de grandes entreprises françaises à lancer le 26 novembre dernier un appel à « accélérer la transition écologique ». Il s’agit d’« accélérer les investissements de transition (déjà considérables) pour réduire nos émissions, changer d’énergie, d’investir rapidement dans un modèle de production et de consommation décarbonée, former des acteurs, nous adapter …  pour une nouvelle prospérité compatible avec les limites de la planète, nous proposons de la fonder sur des innovations et des investissements qui développent la circularité, cette sobriété structurelle et une nouvelle relation au vivant  … décidons ensemble ».

Le texte mérite d’être lu, sachant que parmi les signataires nous trouvons le président de Total, M . Pouyanné et le président de BNP-Paribas, gros financeur des industries pétrolières.

Mais nous disons : non merci !

1 Tribune « La France oserait-elle laisser un blanc-sein à la finance ? » du Collectif de 23 … et personnalités engagées pour les droits humains et l’action climatique. Le Monde, 22 novembre 2023

2 Cité par Huffpost du 27/11/2023

3 Il s’agit de la Déclaration commune du 15 juillet 2022 des dirigeants de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, du Fonds monétaire international, du groupe de la Banque mondiale, du Programme alimentaire mondial et de l’Organisation mondiale du commerce à propos de la crise mondiale en matière de sécurité alimentaire. Elle comporte 4 volets : apporter une aide immédiate aux populations vulnérables ; faciliter les échanges et l’approvisionnement mondial des denrées alimentaires ; doper la production ; investir dans une agriculture résiliente face aux changements climatiques.

PEPS le 01 décembre 2023