Green dock: Le week-end où les luttes écolos s’attaquent à la racine du Capitalisme (partie 2)

Green dock ou le capitalisme des plateformes

Green dock c’est un projet pharaonique, grand comme 2 stades de France, visant à la réception-redistribution de colis et autres livraisons. Il doit être la porte d’entrée dans la capitale de tout le commerce en ligne d’Amazon, Ebay, Wich. Tout passera par ce hub au service de cette économie ultra-lucrative. Le capitalisme participatif des plateformes est aujourd’hui l’un des plus gros secteurs à la fois de pollution par le transport de marchandises par camion qu’il génère, et de la dégradation des conditions de travail. Jeff Bessos, le PDG d’Amazon est parmi les 5 premières fortunes mondiales, et ainsi l’un des maîtres du contrôle automatisé des salariés, de la surveillance vidéo du travail et des cadences infernales. Le secteur de la logistique des livraisons est tellement puissant et lucratif, qu’il est l’un des rares à ne pas avoir été confiné pendant la pandémie de Covid. Les entrepôts usines et les livraisons ont continué à plein régime, au détriment des employés de ce secteur très maltraitant.

Plus globalement, l’économie de la distribution a remplacé le travail de production dans les usines, retirant ainsi aux travailleurs le sentiment de produire quoique ce soit, tout en intensifiant le fordisme et la déshumanisation totale de l’ouvrier. Les emplois dans ce secteur sont particulièrement précaires, et les conditions de travail étant de toute façon tellement dures physiquement que personne ne peut réellement y rester longtemps en poste. La technologie numérique amène des cadences infernales en juste à temps (effet réseau, connexion avec internet), des contrôles de productivité personnalisés (badges) et ultra fiables, des caméras de surveillance. Donc en plus de la pénibilité physique il y a une pression psychologique insupportable donc très grand turn over.

Autre conséquence du développement des marchés en ligne, la destruction des commerces locaux est encore intensifiée et vient s’ajouter à la grande distribution en supermarché, en s’en prenant à toute l’économie artisanale entre autres. En fait, la livraison en ligne est la nouvelle étape de la désincarnation du commerce et de la destruction de tout encrage marchand à échelle humaine.

Entrepots et métropolisation

Le capitalisme logistique c’est la grande machine qui modèle l’espace aujourd’hui avec la métropolisation. La ville s’étend avec des centres villes toujours plus chers, des populations toujours plus disloquées et éloignées et dans le même temps se déploie un immense complexe de routes et d’entrepôts qui viennent alimenter cette société de la distance, où tout est en permanence transporté par des véhicules à énergie fossile, voire un peu vert pour rassurer le client. C’est dans les paysages dévastés de ce capitalisme logistique que s’étaient révolté les Gilets Jaunes. Et leur combat fut très vite axé sur la paralysie de cette économie de la livraison. Les entrepôts étaient parmi les cibles privilégiées de leur blocage, et leur colère initiale émanait en grande partie de la dépendance à la voiture construite par cette économie aliénante.

Que les soulèvements de la terre s’intéresse au capitalisme logistique est une conséquence certaine du mouvement. Et quelle bonne nouvelle que l’écologie radicale tire des leçons de cette révolte populaire, cette Commune de rond-points qu’elle avait pour partie très mal comprise. La prise en compte de la logistique est une avancée majeure qui va conduire à d’autres luttes et peut profondément nuire au capitalisme. Aucune grève ne peut aujourd’hui faire plus mal que le blocage des ronds-points et l’attaque de cette distribution par la route. Il y a à la fois quelque chose de fantastique et d’effrayant à se dire que la ville s’est tellement étendue qu’aujourd’hui les révoltes ouvrières et les barricades se jouent sur les routes départementales. Plus les luttes écologistes seront imbriquées dans ces mobilisations du secteur de la logistique, plus elles seront anticapitalistes et capables de nuire au système qui ravage la nature. À PEPS, nous travaillons avec le réseau écosyndicaliste à cette convergence vitale.

La destruction de l’environnement à la pointe de l’île Saint Denis

Pour revenir au projet de Green dock en lui-même, au-delà de son gigantisme et de sa participation active aux finances de Jeff Bessos, son principale défaut repose sur la destruction de l’environnement préservé en pointe de l’île Saint-Denis juste en-face. Cette réserve non anthropisée est un point clef du passage de beaucoup d’oiseaux migrateurs et un véritable sanctuaire ornithologique en Île-de-France. L’entrepôt, actif en continu, va conduire à terme à dépeupler cet espace fragile par sa pollution sonore, lumineuse et par l’augmentation des gaz à effet de serre. Rappelons que la saturation en pollution de l’air est mortelle pour les oisillons des espèces les plus fragiles et que la pollution aux particules fines décime des oiseaux pourtant résistants et autrefois très communs comme les moineaux. L’entreprise qui gère le chantier, Haropa, a d’ailleurs donné la couleur en détruisant les nids situés sur le site dès son arrivée. Si les promesses sont nombreuses pour limiter l’impact de Green dock sur la pointe de l’île qui lui fait face, on voit mal comment une telle fourmilière de 6,3 hectares et 35 m de haut de béton et d’acier, parcourue en continu par des camions, ne va pas faire fuir les oiseaux, y compris les plus gros comme les cormorans ou les faucons. Les quelques modifications par-ci par-là de ce projet monstrueux ne convainquent personne.

À ce stade, la mobilisation repose en grande partie sur l’espoir de faire céder le maire de Gennevilliers, ville du 92 qui abrite le projet. Homme engagé au PCF dans la tendance Alternative Communiste, hostile à la direction libérale et productiviste de Fabien Roussel, il pourrait renoncer au projet sur une démonstration claire de l’impact sur la zone Natura 2000 de l’Île. Il y a une impérieuse nécessité, ici comme dans toutes les luttes de la galaxie des Soulèvements, que des Naturalistes en lutte viennent remporter une victoire scientifique sur les promoteurs des Grands Projets Inutiles et Imposés.

Les zones industrialisées à l’ère de la 3e nature

Même s’il est dans le fond plutôt louable qu’un projet comme Green dock soit pensé sur une zone ayant déjà un passé industriel, minéralisée et à l’abandon, la présence de la réserve en face rend caduc cette aspect positif de la démarche. Notons tout de même que si une nouvelle économie de production manufacturière doit voir le jour, c’est précisément dans ces espaces pour ne pas détruire de nouvelles terres agricoles. Surtout en Île-de-France, où l’étalement urbain et la densification sont catastrophiques, en dépit des luttes qui y résistent ici et là comme celle du Triangle de Gonesse, des Jardins d’Aubervilliers ou de Saclay. S’il faut construire, mieux vaut construire sur du béton déjà là. Pour autant, nous ne sommes pas pour la ZAN Zéro Artificialisation Nette de Macron. Elle est l’archétype d’une écologie d’accompagnement du capitalisme. Il faut, en plus de l’absence de nouvelles artificialisations, une désartificialisation au moins partielle des territoires car les espaces saturés en pollution ne sont pas viables sur le long terme.

Dans ce cadre le projet Green dock ne peut pas seulement se justifier par le fait qu’il n’artificialise pas une énième terre maraîchère. Mais ce n’est pas pour autant que le port de Gennevilliers et toutes les berges de Seine doivent être laissés à l’abandon. Les sociétés humaines sont intrinsèquement liées aux rivières dans leur déplacement et leur installation. La présence de l’eau est un fondamental de toute culture, mais pas seulement pour l’alimentation, aussi pour le transport. Les fleuves sont les seules autoroutes réellement écologiques, car contrairement au rail, ils n’ont quasiment besoin d’aucune énergie extérieure pour transporter des personnes ou des objets. Il y a une forme de fantasme environnementaliste à voir la Seine comme un fleuve sauvage. Nous sommes à l’ère de la troisième nature, celle qui pousse sur les ruines laissées par le capitalocène. Il y a une nécessité à inventer de nouveau savoir vivre populaire et écologique dans ces paysages hybrides.

Les friches industrielles ont le potentiel d’être de formidables espaces d’évolution des pratiques, d’invention et de liberté, surtout au bord d’un fleuve, mais justement il faut y inventer de nouveaux espaces de production plutôt que d’y poser le prochain squelette de dinosaure capitaliste. L’économie de la croissance effrénée et d’un transport de marchandise mécanisé dans toutes les directions n’a aucun avenir sur plus d’une décennie car c’est la locomotive d’un train qui fonce dans un précipice. Il y a une forme de paradoxe à ce qu’une mairie communiste soutienne un projet qui pousse aussi loin l’exploitation des corps ouvriers et la marchandisation du temps et de l’espace. Ou peut-être faut-il y voir au contraire la cohérence tragique d’une pensée qui a démontré son échec au XXe siècle, justement en faisant du Capitalisme une étape indispensable à l’avènement du communisme, étape à laquelle se sont arrêtés tous les régimes, de Staline à Xi Jinping.

Pour une économie post capitaliste dans le port de Gennevilliers

À PEPS nous pensons que le progrès dialectique et l’Histoire en ligne droite est un récit occidental colonial qui invisibilise la diversité des sociétés possibles qui ont mieux cohabité ensemble et avec la nature que la nôtre. Aussi, nous considérons que les modes de vie anticapitalistes doivent se construire dès maintenant et sans attendre l’avènement d’un processus qui n’est autre que l’hégémonie absolue de l’exploitation de l’humain par le Capital. Pour nous un espace comme le Port de Gennevilliers ne doit pas être laissé à l’abandon mais abriter le développement d’une économie post-capitaliste, basée sur la réparation, le reconditionnement, la fabrication d’outil durable, la production d’énergie douce liée au fleuve, le transport par bateau, l’expérimentation de construction en matériaux soutenables, etc.

Cela est d’autant plus un enjeu que Green dock ne fournira pas d’emploi locaux, mais vraisemblablement essentiellement des emplois lointains dans l’immense aire urbaine parisienne. Aujourd’hui, travailler en proximité de son lieu de vie est un luxe auquel les ouvriers n’ont pas droit, et ils doivent gagner leur lieu de travail par des heures de transport. Ce projet n’échappera pas à cette réalité sociale.

Pour autant, nous ne nous retrouvons pas fondamentalement dans le projet de transformation des berges en espace de balade, surtout dans une zone avec une histoire ouvrière et un aménagement minéralisé, comme le propose une partie des anti-Green dock. Les mairies Socialistes, souvent dans des alliances roses-vertes, font des stratégies de valorisation culturelles et environnementales un axe de développement post industriel un peu partout dans le monde occidental. En France, des villes comme Nantes en sont le laboratoire. La nature est avant tout pensée comme un aménagement comme un autre, visant à augmenter l’attractivité et la valeur immobilière d’un territoire. Dans un contexte de gentrification et de conquête de la banlieue rouge par une classe plus calme et plus aisée, les aménagements culturels, sportifs, et de verdures sont autant d’éléments pensés pour construire le front pionnier de la reconquête républicaine des quartiers chauds par la sainte « classe créative ». Sans politique forte du logement très vigoureuse, par un gel des prix et l’encadrement des loyers, la sanctuarisation et l’extension du parc de logement social, et la réquisition des logements vacants, la gentrification est un processus inexorable. Le libre marché est toujours libre pour les riches, et coercitif pour les pauvres.

«La banlieue nord mérite mieux», mais pour qui ? Le risque de la gentrification

L’enjeu du développement d’une activité économique pour les habitants locaux est ainsi d’autant plus nécessaire pour endiguer ce processus. D’autant que Genevilliers ce n’est pas le 93, mais les Hauts-de-Seine, département le plus à droite de France, conquis de haute lutte par la droite gaulliste et mafieuse de Charles Pasqua à la fin du siècle. Les fameux « Pasqua Boys », jeunes loups formés par l’un des ministres de l’intérieur les plus violents et racistes de la Ve République (c’est dire) ont pris une part une des villes communistes pour en faire des bastions bon chic bon genre, en profitant des immenses chantiers de rénovation urbaines pour brasser du fric et financer leur campagnes nationales. Patrick Devedjian à Antony, Jean-Pierre Schosteck à Châtillon, Georges Siffredi à Châtenay-Malabry, Philippe Pémezec au Plessis-Robinson ou encore, l’incontournable Patrick Balkany à Levallois. La conquête de la banlieue rouge par la droite au prétexte de meilleures conditions de vie à était un véritable rouleau compresseur, et aujourd’hui la pseudo-gauche libérale poursuit la même entreprise via le projet du Grand Paris, avec en avant-garde, les Jeux Olympiques et Paralympiques.

La bataille de Green dock se joue dans ce contexte de guerre de classe ou il est très facile de marquer contre son camp. La végétalisation des bords de Seine est ainsi portée par des mairies de droite ou centre gauche dont celle de la commune prétendue écolo de l’Île-Saint-Denis qui n’a pas hésité à commander la destruction des tours de logement sociaux de la cité Marcel Paul pour nettoyer le quartier avoisinant le tout frais village des athlètes olympiques. À Saint-Ouen et Saint-Denis, les Pasqua boys du PS Mathieu Hanotin et Karim Bouamrane ne cachent pas leurs ambitions de gentrifier leur ville quartier par quartier pour se fondre dans le Grand Paris et accueillir fièrement les jeux. Aussi l’un des slogans de Stop Greendock nous interroge : « la banlieue Nord mérite mieux » mais pour qui ? Les habitants populaires sont déjà en train d’être chassés par les politiques de rénovation urbaine et d’attraction de la classe créative.

Green dock n’est absolument pas la solution, évidement, dans une bataille entre capitalisme logistique et capitalisme immobilier, il n’y a pas de moindre mal. C’est justement pour cela qu’il faut nouer des alliances bien plus variées et profondes pour créer un nouveau récit d’écologie populaire. Ce n’est que quand des militants écologistes protégeront l’habitat sur le point d’être détruit des classes populaires avec la même ardeur qu’ils protègent celui d’espèces en danger qu’un cap aura été franchi. À PEPS nous appelons à la convergence de ces luttes après le week-end d’action Logistique en Panique des 24 – 25 et 26 mai. Il y a deux zones à défendre sur l’île Saint-Denis : la zone Natura 2000 contre Green dock, et la cité Marcel Paul contre les JOP. Stop Green dock, Stop Green gentrification, un seul et même combat.

PEPS, le 20 mai 2024