Paupérisation, précarisation et inégalités accablantes

Le 23 avril, les occupants de la centaine de théâtre et de lieux culturels, les associations de chômeurs et de précaires, les salariés en lutte contre les licenciements, les étudiants et les jeunes interdits de RSA, les sans-papiers, les travailleurs de la santé, se rejoindront dans la rue avec comme objectif, la suppression de la contre-réforme de l’assurance chômage. Cette convergence se fait pour la première fois autour de la lutte contre la précarité. Celle-ci a explosé depuis le début de la pandémie. Depuis des décennies, elle s’était installée déstabilisant le salariat, le divisant en l’atomisant, en détruisant les collectifs de travail, en l’ubérisant. Voilà que le gouvernement veut le paupériser en réduisant drastiquement les indemnités de chômeurs.

En pleine pandémie, celle-ci ayant dépassé les 100 000 morts, cette provocation est humiliante pour ceux et celles qui n’ont rien. Le seuil de pauvreté est compris à partir d’un revenu de 1094 euros. En 2020, la crise sanitaire a fait basculer plusieurs centaines de milliers de personnes sous le seuil de pauvreté. C’est ce qu’explique l’Observatoire des inégalités dans son Rapport sur la pauvreté en France 2020-2021 sorti en fin d’année dernière avant d’être supprime par le gouvernement. Le nombre de pauvres en France pourrait avoisiner les 12 millions de personnes, soit près de 18.46% de la population. Le nombre de demandes d’allocations RSA ayant grimpé en flèche (+14%) depuis la mi-2020 par rapport à 2019. A l’automne 2020, le nombre de bénéficiaires à l’aide alimentaire était estimé à plus de 8 millions de personnes, alors qu’il se situe autour de 5,5 millions en temps normal.

 Si la crise sanitaire a touché le monde entier, les inégalités face à ses impacts sont considérables. Les femmes sont les premières impactées par les conséquences économiques de la crise. Surreprésentées dans les métiers les plus précaires et les moins bien rémunérés, elles ont été touchées de plein fouet par la pandémie. Pour les mères célibataires, la situation est d’autant plus préoccupante qu’elles sont plus nombreuses à travailler en temps partiel subi. Les jeunes, eux, depuis les années 2000 se paupérisent. Une étude de l’Observatoire nationale de la vie étudiante menée après le premier confinement montre que 23% d’entre eux n’ont pas pu manger à leur faim ! Les migrants ont été particulièrement exposés au coronavirus. Selon une étude réalisée par Médecins sans frontière en Ile-de-France, une personne sur deux aurait été infectée par le virus en raison des conditions de vie favorisant une forte promiscuité tandis que ceux qui travaillent dans la restauration et dans d’autres secteurs, sans papiers, ne touchent aucune allocation.

Par contre selon le rapport d’Oxfam intitulé « Le virus des inégalités », seulement 9 mois ont suffi aux milliardaires français pour retrouver leur niveau de richesse d’avant la pandémie. Ces milliardaires ont ainsi gagné 175 milliards d’euros entre mars et décembre 2020 – soit l’équivalent de deux fois le budget de l’hôpital public -, dépassant leur niveau de richesse d’avant la crise.

Le 23 avril, une date symbolique pour la révolte du précariat

C’est pourquoi la date du 23 avril est symbolique. Grâce aux intermittents du spectacle, qui depuis deux mois, occupent leurs lieux de travail, le précariat ose se révolter. 2 ans et demi après le soulèvement des gilets jaunes, celles et ceux qui d’après Macron ne sont rien, relèvent la tête et disent : ce n’est pas à nous de payer la crise, c’est aux patrons et à l’Etat. Nous ne sommes pas responsables de votre mauvaise gestion. Vous avez donné des milliards aux entreprises pour qu’elles continuent à délocaliser, à restructurer, à refiler leurs profits aux actionnaires et à le faire au nom du capitalisme vert, en repeignant en vert la misère sociale. Pendant ce temps- là les organisations de gauche pérorent à n’en plus finir dans des salons sans rien dire sur ce mouvement plébéien. Comme elles avaient pour la plupart considéré les Gilets jaunes comme un ramassis de fascistes et de racistes, elles regardent les intermittents, les précaires et les chômeurs en leur disant : votez pour un ou une Hollande verdie en 2022. Et tout ira bien.

Mais celles et ceux qui vivent à 6OO euros ou moins n’ont que faire d’attendre que ces messieurs se soient mis d’accord. Ils veulent survivre ici et maintenant. Ils considèrent qu’on ne peut pas vivre à moins de 1200 euros par mois. Ils exigent la gratuité dans les transports en commun, l’accès à l’eau gratuit dans ses premières tranches, le droit à un toit décent, la fin de la précarité énergétique, le droit à une alimentation saine tout de suite sans faire la queue dans les Restos du cœur, l’accès aux produits de haute nécessité que sont les biens culturels.

Appel à la révolte devant la catastrophe sociale écologique

Le système capitaliste est arrivé à un stade où son caractère inégalitaire met en danger la vie de millions de femmes et d’hommes. La pandémie a montré que plus que jamais les riches s’enrichissaient quand les pauvres étaient au bout du rouleau. Pour paraphraser l’appel du soulèvement de la terre dont PEPS est signataire et qui s’est traduit le 17 avril par des dizaines de rassemblement dont la magnifique manifestation pour la défense des jardins ouvriers à Aubervilliers ou celle contre Tropicalia dans la Somme, la catastrophe écologique et sociale n’est pas à venir, elle est déjà là. Nous ne nous résoudrons pas à la contempler, impuissant-es, isolé-es et enfermé-es chez nous. Nous avons besoin de vivre et non de survivre. Les causes et les responsables de la destruction de notre autonomie sociale, de la bétonisation, des expulsions et des licenciements des industries polluantes, des accaparements des terres vivrières par l’agro-industrie, de la mort des sdf dans les rues, du mal logement , du chômage qui tue comme un poison lent des générations entières, sont connus. Nous voulons cibler et bloquer ces responsables. 

Le 8 novembre 2019, l’immolation d’Anas K. à Lyon devant le CROUS de son université avait rappelé à notre bonne société qu’il y avait de la misère en milieu étudiant. Cet homme, syndicaliste de Solidaires, a explicité la dimension politique de son acte dans la lettre qu’il a laissée. Il dénonce la survie à laquelle il a été réduit comme tant d’autres camarades. Car cette immolation était un appel à la révolte : « J’accuse Macron, Hollande, Sarkozy et l’UE de m’avoir tué, en créant des incertitudes que l’avenir de tous-tes, j’accuse aussi le Pen et les éditorialistes d’avoir créé des peurs plus que secondaires. Mon dernier souhait, c’est aussi que mes camarades continuent de lutter, pour en finir définitivement avec tout ça. ». Oui, le Pouvoir et ses chiens de garde sont responsables et coupables de son sort et de ceux qui meurent de la misère sociale. Ils poussent au suicide agriculteurs, artistes, policiers, infirmiers, professeurs, ouvriers, employés de bureau, livreurs, pompiers, retraités, étudiants. Leur système brise les êtres humains, n’épargnant que ceux qui ont suffisamment d’argent pour profiter de la souffrance des autres.

Oui l’État tue : Rémy Fraisse, assassiné à Sivens pour avoir protégé la biodiversité, Adama Traore et les jeunes des quartiers populaires assassinés par la police dans l’impunité la plus complète, Zineb Redouane à Marseille, et les centaines de Gilets Jaunes mutilés… Les importants qui nous dirigent sont aussi responsables de la mort, pour non-assistance à personnes en danger, de milliers d’exilés noyés en Méditerranée. Ils sont responsables encore, pour mise en danger d’autrui, des victimes des pollutions chimiques comme les 100 000 morts de l’amiante restés impunies ces quarante dernières années. Leurs gouvernements successifs sont plus sensibles aux profits des gros actionnaires qu’à la vie des gens. Ils ont conscience de leur violence et ne craignent que de subir le revers de leurs crimes.

Ecologie ou barbarie

Non, ce système n’est plus légitime, car si ses fins de mois poussent au suicide, il pousse à ce plus vaste suicide qu’est la fin de notre monde. Car la survie ne se limite plus aux pauvres et aux exclus du système ; la survie est l’horizon de notre génération, confrontée à l’effondrement qui vient, à la crise climatique, à la 6ème extinction des espèces, aux guerres de l’eau et aux pollutions industrielles ; la survie est devenue le lot du vivant et des éco systèmes. La lutte pour la survie, pour une vie digne, c’est ce qui rassemble ceux qui croient à l’écologie et ceux qui n’y croient pas, ceux qui défendent la condition animale et ceux qui s’attachent à la condition ouvrière, ceux qui se battent pour assurer une retraite décente et ceux qui ne veulent pas mourir empoisonnés par les pesticides.

L’alternative pour toutes et tous est claire : Ecologie ou barbarie. Si nous voulons non seulement survivre, mais vivre, alors il va falloir en finir avec ce vieux monde dans toutes ses dimensions : il va falloir combattre pour une écologie sociale, mentale, environnementale pour en finir avec toutes les dominations de genre, de race, de classe avec toutes les hiérarchies sociales qui nous empêchent d’être libres et de nous aimer et qui détruisent la Nature. Nous ne sommes rien, soyons tout !

Partout en France, PEPS appelle à rejoindre les manifestations du 23 avril et du Premier mai contre la précarité et pour l’abrogation de la réforme de l’assurance-chômage et de celle de l’APL. Avec les occupants de l’Odéon nous disons : Le 23 avril nous manifesterons pour défendre tous nos biens communs. Parce que nous exigeons une juste répartition des richesses. Parce que nous n’acceptons plus que les politiques d’austérité et les contre-réformes libérales démantèlent nos services publics. Parce qu’il est temps que l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers de la classe dominante. Le 23 avril nous manifesterons pour reprendre le contrôle de nos vies. Parce que ce n’est qu’un début. Parce nous sommes déterminé·e·s à gagner. Le 23 avril nous manifesterons. Dans la rage. Mais aussi dans la joie.

A Paris, RDV est donné à 13h45 métro Place d’Italie, devant le café Jules

PEPS, le 21 avril 2021