Depuis le 4 janvier, les salarié·e·s de Total-Grandpuits luttent contre un plan de licenciements qui menace 700 emplois sous prétexte de conversion aux énergies renouvelables. Ce n’est pas le seul endroit en France. Durant cette année, sous prétexte de la crise sanitaire et avec la complicité du gouvernement, les patrons licencient à tour de bras. Cette situation pousse des centaines de milliers de gens dans la misère et la pauvreté.
La spécificité de la lutte de Total-Grandpuits réside dans la convergence entre le mouvement ouvrier et le mouvement écologiste. Pour la première fois le greenwashing utilisé par Total pour légitimer son plan de licenciements a été dénoncé de concert par la CGT, les amis de la Terre et Greenpeace. L’instrumentalisation du discours sur les nécro-carburants*, que l’on fait passer pour des énergies renouvelables, est insupportable pour les ouvrier·e·s et pour les écologistes. Pour la première fois, salarié·e·s et écologistes ont élaboré en commun un plan de reconversion écologique.
Ce tournant est décisif car le patronat et l’Etat qui, depuis toujours, opposent économie et écologie, emploi et environnement, croissance et décroissance choisie, sont confrontés à un front commun entre les raffineurs et le mouvement écologique. Pour la première fois, la stratégie de Total qui d’Afrique en Asie, de la raffinerie de la Mède à celle de Grandpuits est mise à nue par les organisations syndicales, les ONG écologistes grâce à l’auto-organisation des raffineurs dans un Comité de Grève qui crée les conditions d’une convergence entre cols bleus et cols verts.
À PEPS nous considérons que le syndicalisme doit s’adapter aux mutations des modes de production et de consommation. Nous en sommes à la quatrième révolution industrielle marquée par la numérisation et le changement climatique. Le syndicalisme doit mettre au centre de son action l’éco-syndicalisme qui peut se définir comme la prise en charge de l’écologie dans toutes ses dimensions par le syndicalisme et inversement comme l’intégration par l’écologie de la défense des intérêts des travailleurs. L’éco-syndicalisme vise à faire émerger un courant d’idée parmi les syndicalistes conscients des enjeux sociaux écologiques quelles que soient leurs confédérations.
Parmi ces enjeux, ceux de la relocalisation des activités économiques et de l’emploi, de la reconversion écologique de l’économie, de la pollution industrielle touchant tant les salarié·e·s que les riverain·e·s (santé environnementale), de la crise climatique engendrée par les conséquences du productivisme sont parmi les plus importants.
L’éco-syndicalisme revendique une approche anticapitaliste de la transition. Par exemple : l’extension du secteur public (gratuité des transports publics, des cantines sociales, etc.), l’expropriation du secteur fossile (condition d’une transition rapide vers les renouvelables), la réduction radicale du temps de travail, sans perte de salaire (condition pour concilier décroissance de la production et emploi). En résumé, l’éco-syndicalisme défend à la fois les intérêts collectifs des travailleuses et des travailleurs et ceux de l’humanité et de la Nature.
Fin du mois, fin du monde même combat !
Les marches pour le climat et le mouvement des Gilets Jaunes ont changé la donne. Les combats pour la justice sociale et la justice environnementale sont indissociables : fin du monde, fin du mois même combat ! Désormais l’écologie n’est plus le domaine réservé des classes aisées des centres ville mais concerne d’abord toutes celles et ceux qui en sont les premières victimes : salarié·e·s, chômeuses et chômeurs, paysan·ne·s, précaires, retraité·e·s, travailleurs et travailleuses pauvres, etc. C’est une des leçons de la lutte des Gilets jaunes en France, mouvement social déclenché en réponse à la hausse des prix du carburant et pour protester contre l’injustice fiscale : la « transition écologique » ne doit pas être payée par la classe ouvrière et les secteurs populaires. Face à la crise environnementale, il faut que les capitalistes paient pour la pollution qu’ils engendrent et non l’inverse. C’est dans les entreprises que nous affrontons les conséquences du productivisme : amiante, pollution chimique, air pollué, ondes électromagnétiques, énergie nucléaire …
Ce sont d’abord les ouvrier·e·s qui meurent des cancers professionnels liés aux produits chimiques… C’est dans les entreprises de service que les nouvelles maladies liées au stress et à l’intensification du travail, au harcèlement psychique et à la course à la rentabilité se traduisent par la souffrance au travail qui va jusqu’aux suicides : ouvrier·e·s, employé·e·s cadres du tertiaire, nous sommes tous pressurés et jetés dès lors que nous ne sommes plus performant·e·s en regard des critères de rentabilité…
Ce sont les salarié·e·s du commerce qui subissent les effets du temps partiel imposé, d’univers sonores abrutissants ; celles et ceux de l’agriculture, qui sont les premières victimes des dangereux produits phytosanitaires et des nitrates. Alors même que la médecine comme l’inspection du travail sont marginalisées, alors que Macron a imposé la suppression des CHSCT, nous devons affronter chaque semaine de nouvelles mesures qui aggravent nos conditions de vie et de travail tout en nous jetant dans la précarité. C’est dans et à partir les entreprises que nous devons porter les revendications et les luttes concernant la santé et l’environnement, l’organisation du travail, la redistribution des richesses, le partage capital travail et la démocratie dans l’entreprise.
La lutte contre les inégalités sociales et écologiques forme un seul et même combat. Mais nous ne pouvons-nous satisfaire de la seule résistance au système capitaliste. Les luttes contre la privatisation des services publics, les plans de licenciements et les délocalisations sont décisives mais elles doivent se traduire par des propositions de rupture avec le mode de développement, de production et de consommation, fondé sur le productivisme. Le vieux dogme de la croissance pour la croissance comme seul horizon à la lutte du mouvement social est en crise. Le syndicalisme tout en privilégiant la défense des intérêts immédiats des salarié·e·s ne peut faire l’impasse sur les conséquences des dégâts du productivisme et de la fin programmée des ressources naturelles et des biens communs.
Seule une rupture écologique avec l’économie et la société de marché permettra d’avancer, de combattre efficacement le chômage et d’améliorer les conditions de vie et de travail. Nous ne protégerons pas les travailleuses et les travailleurs si l’économie tout entière n’est pas réorientée vers un autre mode de production fondé sur une décroissance choisie, sur un système de transport et un aménagement du territoire basé sur la démétropolisation, une agroécologie qui rompt avec l’industrie agro-alimentaire, sur une industrie non polluante et utile socialement.
Nous devons poursuivre le débat entre l’écologie politique et le syndicalisme. Il est possible de construire une alternative positive à la crise sur la base de propositions sociales écologistes : travailler tou·te·s et autrement pour vivre mieux, revenu minimum et maximum, contrats de reconversion industrielle, notamment dans la branche de l’automobile et des industries carbonées, contrôle des usager·e·s, des riverain·e·s et des salarié·e·s sur l’organisation du travail et les risques industriels, relocalisation des activités, redistribution des richesses, création de millions d’emplois verts non délocalisables, soutien aux initiatives d’économie solidaire, réduction massive du temps de travail, défense et développement des services publics sont autant d’axes essentiels qui peuvent et doivent être débattus sur les lieux de travail. Nous devons nous saisir de ces perspectives pour en finir avec la culture productiviste issue de la tradition de la gauche traditionnelle.
Nous devons mutualiser les pratiques de transformation écologique du travail et de la société et les faire connaître. En France, des réseaux de surveillance et de prévention contre les cancers professionnels et les accidents du travail sont mis en place ; C’est pourquoi nous appelons à la mise en place d’un réseau éco-syndical permanent qui devra être le levier d’un débat public sur la question écologique dans le mouvement syndical et plus généralement dans le monde du travail. Nous ne voulons ni nous substituer aux directions confédérales, ni constituer un sous-courant au sein d’une ou de plusieurs organisations syndicales, ni créer un nouveau syndicat. Nous souhaitons soutenir les éco syndicalistes pour créer un espace d’initiatives, de débat, de rencontres et d’échanges, de circulation d’information traitant de l’éco-syndicalisme.
La lutte de Total Grandpuits va dans ce sens. Elle ouvre la voie à une convergence anti productiviste dans les usines et les quartiers, préalable au Front Populaire Ecologiste.
C’est pourquoi nous appelons chacun à soutenir et rejoindre les raffineurs de Grandpuits mobilisés ce jeudi 18 février à 14h à Melun devant la Dirrecte, qui ala responsabilité de valider le projet proposé par Total.
PEPS, le 15 février 2021
*Nécrocarburants : (nécro = mort) on désigne ainsi les carburants végétaux dont la production entraine un conflit d’usage de la terre et augmente la sous-nutrition, la déforestation, l’érosion des sols, la désertification et la pénurie d’eau.
Plus d’infos : l’article de Bénédicte Monville, élue écoloPEPS à la région IDF, sur la lutte des Grandpuits en décembre 2019 https://blogs.mediapart.fr/benedicte-monville/blog/301219/greve-la-raffinerie-de-grandpuits-le-petrole-le-capital-et-lenvironnement