Pour une planification écologique communaliste

Pour une planification écologique communaliste.

Depuis plusieurs semaines, la Macronie tente d’imposer dans le débat public l’idée qu’elle pourrait mettre en place une planification écologique qui répondrait à la crise climatique et aux crises écologiques de l’énergie, de l’eau, de la biodiversité… Nous voulons ici démonter cet enfumage. La planification écologique n’a rien à voir avec l’usine à gaz construite par Borne, où deux ministères chapeautés par un groupe d’experts qui travaillent à l’Hôtel Matignon sont chargés d’organiser une réindustrialisation « verte » de la France.En clair, d’accoucher d’un capitalisme repeint en vert permettant de construire une nouvelle croissance adaptée aux besoins d’un patronat qui recevra une fois de plus des milliards d’euros sans contreparties. Voilà la réalité de la planification écologique macroniste. C’est un travestissement complet de l’idée de planification écologique. 

Ce terme a longtemps été banni par les Verts ou Europe Écologie qui considéraient qu’il était lié à une conception soviétique de la planification ou à un retour au Commissariat au Plan voulu par De Gaulle et la Vème république. Or, ces différents Plans émanaient d’une idéologie productiviste et colbertiste. Les plans sous De Gaulle et Pompidou se sont imposés aux territoires depuis Paris. Ils ont débouché sur des projets écocides, expulsé des centaines de milliers de paysans de leurs terres et accouché de la construction des centrales nucléaires. La planification a aussi été rejetée dans les courants libertaires au nom de la lutte contre l’État. Mais aujourd’hui, l’urgence climatique nécessite des politiques publiques et un plan d’urgence et de mutation face à cette menace contre la communauté humaine. La planification dirigée par des technocrates n’est pas la nôtre. La planification écologique ne peut être imposée d’en haut, par une administration centralisée de l’État. 

Notre proposition pourrait être appelée « planification écologique communaliste ».  Il s’agit d’une démarche qui s’oppose à la « planification centrale », car les décisions économiques et sociales ne sont pas prises par un « centre » quelconque mais déterminées démocratiquement par les populations concernées, selon le principe de subsidiarité : la responsabilité d’une action publique doit être attribuée à la plus petite entité capable de résoudre le problème d’elle-même. Ainsi, la planification écologique ne peut provenir que d’une dynamique par le bas. Elle doit émaner à la fois des producteurs et des usagers des communs et des citoyens des communes, des agglomérations, des pays, des biorégions. Ce processus se construit donc par l’articulation des communs et des communes. Cette planification peut être élaborée aux différentes échelles territoriales – locale, nationale et européenne. Les délégués des organismes de planification sont élus et révocables. Les diverses propositions sont présentées à tous ceux et celles qu’elles concernent. Elle doit pouvoir être organisée lors de conférences nationales annuelles qui réunissent les acteurs de la bifurcation écologique : paysans, salariés des secteurs de l’industrie liées à l’agroalimentaire, aux transports, au bâtiment, mais aussi aux consommateurs et aux usagers qui subissent la hausse des prix et sont confrontés à la qualité des produits. Ce type de système de planification démocratique concerne les principaux choix économiques et non pas l’administration des restaurants locaux, des épiceries, des boulangeries, des petits magasins, des entreprises artisanales ou des services. 

La conception communaliste de la planification n’est rien d’autre que la démocratisation radicale de l’économie par l’autogestion et l’autogouvernement. L’autogestion signifie le contrôle démocratique du plan à tous les niveaux, local, régional, national, continental – et un jour planétaire, puisque l’écologie n’a pas de frontière et que le respect des limites planétaires devra par définition se faire à cette échelle. Si nous, qui nous définissons comme communalistes, considérons qu’il faut reprendre à notre compte le terme de planification, c’est que nous voulons dépasser l’antagonisme qui oppose les politiques publiques et le pouvoir populaire local décentralisé. Aucune société́ ne peut en effet fonctionner sur une base purement localiste sans se fractionner : il y a des décisions, souvent les plus importantes, qui nécessitent un temps de coordination régionale et nationale. Une politique agricole ne peut pas être définie au niveau de chaque département, elle nécessite des arbitrages, des transferts, des compensations au niveau national au moins. La planification doit donc être considérée comme un processus de va-et-vient entre le local et la national, entre le particulier et le général. En effet, les projets élaborés au niveau local ne sont pas forcément compatibles entre eux : intérêts contradictoires, doublons possibles, ressources globales insuffisantes. Il existe de toute façon des choix à faire, qui, au bout du compte, seront effectués d’une manière ou d’une autre. La procédure de planification doit viser à rendre ces choix transparents et maitrisés collectivement.

C’est pourquoi l’autonomie politique requise pour une planification démocratique ne peut se résumer à une démocratisation-décentralisation de l’État. Un nouvel ordre social droit être dessiné par une planification sociale, décentralisée, testée de manière expérimentale, avec des institutions permettant de libérer une « intelligence sociale coopérative », et qui soit une véritable force pour une société créative et auto-organisée.  La perspective communaliste consiste à regarder le monde,  non à travers des statistiques même si elles peuvent être utiles pour définir les besoins réels, mais par en bas, depuis la vie quotidienne, et non par en haut, depuis les instances de pouvoir qui manipulent l’opinion dans le seul but de se perpétuer. Un tel processus, à l’échelle d’une biorégion par exemple, pourrait s’inaugurer et s’organiser à partir d’expériences concrètes, d’états des lieux, d’une connaissance partagée des multiples interdépendances au sein des milieux de vie, entre régions. L’idée communaliste est assez simple, claire et porteuse d’une véritable transformation démocratique ; il s’agit d’instituer une nouvelle communauté politique qui ne soit pas dominée par l’État ni de quelconques accords ou traités juridiques internationaux mais fondée sur l’autogouvernement populaire, seul à même de respecter les proportions et le rythme des prélèvements des ressources de manière pérenne.

La planification écolo communaliste doit avoir des objectifs précis :

– la décroissance choisie et non subie, la relocalisation de l’activité économique,

– la reconversion écologique de l’industrie,

– la garantie de l’emploi avec une rémunération équitable et une réduction du temps de travail qui libèrera du temps pour les activités politiques citoyennes indispensables à l’instauration d’une démocratie écologique à tous les niveaux de la vie économique et sociale,

– la transformation des services publics en communs organisés avec l’apport d’une science et d’une technique responsables, et disponibles avec une part de gratuité.

La planification écologique ne pourra se faire à terme sans redéfnition de l’usage de la monnaie, ni réorientation du crédit et des banques, donc de leur contrôle populaire. Par exemple, la Seconde Commune, telle que nous l’avons désignée dans le précédent éditorial, interdirait immédiatement toute subvention ou investissement dans les énergies carbonées ou le nucléaireet orienterait les crédits vers les énergies renouvelables à 100 %, la rénovation énergétique des bâtiments ou  le développement de transports publics collectifs. Le choix, la maitrise et le contrôle des financements sont les  premières tâches du pouvoir populaire. La démocratie directe et locale ainsi que l’autogestion, ne sont pas contradictoires avec une planification démocratique.  La planification est plus qu’une méthode : il s’agit d’éclairer l’avenir, de se donner des objectifs chiffrés – avec l’intention de les tenir ! – d’organiser avec les territoires la bifurcation écologique dans tous les secteurs (énergie, finance, aménagement du territoire, transport, agriculture), et de définir le niveau des ressources qui doivent être investies dans l’éducation, la santé ou la culture. Les prix des biens eux-mêmes ne répondraient plus aux lois de l’offre et de la demande, mais seraient déterminés autant que possible selon des critères sociaux, politiques et écologiques, tandis que de plus en plus de services seraient accessibles en partie gratuitement. 

Le temps n’est plus au développement des forces productives, à la surexploitation et à l’étatisation, mais au désarmement des forces  « dévastatrices », à la décroissance, à « une écologie de libération ». Habiter la Terre et pouvoir bifurquer, c’est reconstruire des lieux, une vie sociale, des zones et des institutions, en les fondant sur la mutualisation, la coopération, et des communs. La planification écolo-communaliste est un outil pour parvenir à ce régime de stabilisation.