Pour une rémunération juste des paysans-travailleurs, reprenons en  mains notre système alimentaire

Le XXe siècle européen a été témoin d’une expansion fulgurante du capitalisme des monopoles, marquant une transformation profonde de l’approvisionnement des villes par les campagnes.

Progressivement, les réseaux commerciaux ont monopolisé la distribution, remplaçant les foires et les marchés traditionnels. Cette concentration du capital commercial, des abattoirs à la grande distribution, a engendré la fortune de quelques familles de rentiers, qui exercent encore aujourd’hui une influence dominante, y compris dans la spéculation alimentaire à l’échelle internationale. Ces familles ne sont pas seulement responsables du « malheur paysan français », mais aussi portent le sang, la faim la mort sur tous les continents.

Cette monopolisation a entraîné une diminution continue des marges et des bénéfices du secteur agricole, au profit du capital marchand. Cette pression économique a conduit à des concentrations accrues dans le tissu productif agricole mettant en péril la résilience des exploitations.

Le récit d’une révolte agricole prônant la « dérégulation des normes environnementales »,  mis en avant par la FNSEA, s’avère être une façade masquant les véritables enjeux économiques et politiques. La rhétorique de la « dérégulation des normes » peut avoir un impact significatif sur le spectacle médiatique. C’est là le piège de la période. Cependant, il est important de reconnaître que même si on détruit toutes les normes environnementales, cela ne sauvera pas la comptabilité des exploitations en faillite. Sans une régulation adéquate, les « petits producteurs », qualifiés d’agro-écologistes par l’agro-industrie vont faire faillite.

Garantir des niveaux de prix agricoles et de revenu est la base pour assurer des conditions de vie dignes et une transformation écologique des systèmes de production agricole

Le plus grand service que l’on puisse rendre à l’industrialisme et au capital est de se complaire dans la tristesse du fatalisme. Il est vital de cultiver une pensée critique et éclairée, consciente des dangers inhérents à une foi aveugle dans le progrès technologique. Ceci sans tomber dans une approche folkloriste parfois néo traditionaliste qui, aujourd’hui, réduit la conscience politique aux préférences individuelles.

Pour beaucoup encore, manger bio est un luxe.  Le projet des castes bobo d’un monde alternatif séparatiste, est un reflet de l’avancée de l’individualisme libéral, faisant l’amalgame entre besoins sociaux et segments de marché de niche.

Concentrons-nous plutôt sur les enjeux de démocratie alimentaire, à la fois dans les dimensions économiques et sociales, en partant de nos besoins et non en absorbant l’offre alimentaire, hiérarchique et inégalitaire, telle qu’elle existe.  

Soutenons et participons à la repolitisation de l’agriculture et de l’alimentation dans une rupture sociale et écologique.

Parler de régulation des marges est une stratégie écologiste

Parler de régulation des marges de la distribution et d’une alimentation de qualité pour l’ensemble de la population, n’est pas une trahison vis-à-vis de l’agro-écologie. Si l’on quitte la morale pour poser des problématiques sociales, il ne peut pas y avoir de politique de développement de l’agro-écologie sans régulation des marges et des importations du secteur marchand qui s’accapare la plus-value agricole depuis les années 1920 et, de façon exponentielle, depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Il est crucial de reconnaître que le véritable défi des politiques agricoles, qui intègrent des normes environnementales rigoureuses et le respect des droits liés au travail, réside dans une rupture avec le capitalisme.

Bien sûr personne n’est en faveur d’une augmentation du prix pour le consommateur final. Il faut une limitation de la marge maximum des intermédiaires, quel que soit le pays d’où le produit a été importé, ou qu’il soit produit en France.

Cela veut dire mettre en place une régulation économique qui ne se renferme pas dans une vision nationaliste mais, au contraire, se met en place en relocalisant ce qui peut l’être et en cherchant la coopération et l’entraide avec les autres. De plus, il s’agit de mettre en œuvre des normes environnementales adaptées aux différentes fermes tant dans leur taille que dans leurs productions. Imposer comme c’est le cas aujourd’hui, des normes industrielles à des petites fermes, ne peut qu’engendrer souffrances sociales et survie économique pour celles-ci.

Si la France met des taux de marché pour les importateurs de fruits et légumes, il s’agit alors d’accepter le prix plancher du lait nécessaire pour faire vivre les fermes espagnoles laitières. En outre, la remise en cause des accords de libre-échange à l’échelle internationale fonde cette vision de coexistence des systèmes agricoles, abolissant les pratiques de dumping existantes et rétablissant le droit à une souveraineté alimentaire des sociétés et des régions.

Dans cette période, proposer de sortir du capitalisme à partir de l’alimentation est la seule piste possible pour sortir de la boucle infernale du marché libéral et reprendre la main, collectivement, à la fois sur les systèmes alimentaires locaux et la coexistence avec les systèmes alimentaires voisins et éloignés.

Tant qu’il y aura de l’argent, du capital, pour pouvoir appliquer des normes environnementales, il faut pouvoir être rentable en les appliquant : s’il n’y a pas de régulation des prix, des marges et des importations, il n’y a pas de discours écologique qui vaille en agriculture.

Pour une stratégie du mouvement paysan autour de la rémunération juste

Aujourd’hui, sur les 450 000 exploitations agricoles, un quart sont en dessous du seuil de pauvreté.

Beaucoup d’exploitations sont endettées. Le problème de fond est que le travail ne paie pas. Pour « les plus gros », la transformation agro-industrielle et la distribution s’accaparent les marges qui ne permettent pas le remboursement des crédits engagés pour mettre en place un appareil productif concurrentiel. Pour les petits, même en circuit court, les prix sont fixés par les mouvements du marché déterminés par les acteurs financiers internationaux, et il est souvent difficile de se rémunérer avec peu de terre et peu de moyens de production.

Cette mobilisation remet au centre de la question agricole l’enjeu de la régulation des prix. En effet, après 30 ans d’une FNSEA qui préférait parler d’agribashing et de dérégulation face à des « bobo écolo », et qui se trouve maintenant au pied du mur, celle-ci a enfin timidement osé critiquer le libre-échange et réclamer la régulation des prix. La Confédération paysanne, après des décennies d’un discours écologique parfois antilibéral, a réussi à mettre en avant la régulation des prix.

Il est évident que du côté de la FNSEA, une partie de la base, en faillite et au bord du suicide, a bien compris que brûler des pantins d’écologistes aux cheveux longs avec des badges « Soulèvement de la Terre » n’améliore pas profondément leur comptabilité. Beaucoup des agriculteurs mobilisés ne sont tout simplement pas syndiqués.

Les rapprochements entre le Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux, la Confédération paysanne, plus écolo sociale, et la CGT et Solidaires autour d’une participation au mouvement, ouvrent des perspectives où l’écologie populaire a un rôle important à jouer

L’imaginaire développé par XR et Dernière Rénovation (devenu Riposte Alimentaire) a remis la question existentielle au centre de l’expression morale et politique. Les soulèvements de la terre, en s’attaquant directement à des infrastructures, ont fait plus que 50 ans de prêchi-prêcha à la Ellul pour montrer que les technologies relèvent d’enjeux politiques. Un des dépassements à venir est celui d’ancrer cette morale et cette analyse de la technique dans les enjeux de l’économie politique.

Nous sommes donc à un moment où des convergences se créent. La responsabilité de toutes les composantes, notamment écologiques, du mouvement social est d’y être, de refuser la simplification du débat entre une agriculture productiviste ou le respect de normes environnementales, d’une rentabilité économique ou des conditions de travail délétères, etc.

Dans les prochains jours PEPS sera aux côtés du mouvement paysan

Soutien au mouvement paysan, mort à l’Agro business1

A noter que les taxis sont en train de participer aux manifestations, car comme pour les familles et habitantEs, à l’inflation alimentaire se rajoute l’inflation de l’énergie.  Il n’y a pas que la question de l’essence professionnelle, électricité, gaz / la situation est difficile pour tout le monde.

Même si cet édito ne s’y attarde pas davantage, agriculture, alimentation et énergie même combat !

Régulation des marges de la grande distribution et des industries de la transformation !

Alimentation et énergie pour tous et toutes !

Reprenons la main sur nos systèmes alimentaires

Rendez-vous sur les blocages ! Pas un pas en arrière ! Nous vaincrons !

  1. Ce slogan « Soutien au mouvement paysan, mort à l’Agro-business » est repris de l’action menée dimanche 28 janvier dans la matinée par cinq militant-e.s de PEPS jeunes, place beauvau. Retrouvez les photos et vidéos de l’action ci-dessous – ainsi que de l’émission #AuPoste de David Dufresne dont Merlin de PEPS était l’un des invités lundi 29 janvier pour expliquer le but de cette action ↩︎

Et enfin Merlin convoqué #AuPoste : https://www.auposte.fr/l-h-o-o-q-la-riposte-alimentaire/