RETRAITES : Gagner la bataille en faisant vivre l’esprit d’entraide !

1. Une brève histoire de la Sécurité sociale

Par son projet de réforme des retraites, Macron s’attaque à l’un des piliers de la Sécurité sociale. La Sécu issue du programme du Conseil National de la Résistance était toute une philosophie, celle d’un projet humaniste, bâti sur le principe de « cotiser selon ses moyens, recevoir selon ses besoins ». Un projet rassembleur, construit sur la solidarité, ouvrant la voie à un avenir meilleur : un projet d’émancipation. Alimentée par des cotisations, partie socialisée des salaires, elle avait une gouvernance participative, le dialogue social était au cœur de la décision, chaque organisme, à l’échelon local et national, était autogéré par les travailleurs, majoritaires dans les conseils d’administration. La Sécu au départ, c’était un « commun » !

Dans un pays où la cessation du travail signifiait souvent entrée dans une vie de privations, le système de retraites était un progrès majeur. Il reposait – et repose encore – sur un principe de solidarité inter-générationnelle, un contrat dans lequel les retraites des vieux étaient payées par les actifs, tandis que les salarié.es âgé.es laissaient leur place sur le marché du travail aux nouvelles générations. Ce système, progressif, s’accompagnait de la transformation d’une partie des gains de productivité en réduction du temps de travail, tant pendant l’activité qu’en permettant un départ à la retraite plus précoce.

Cependant, dès la fin des années 1960, des réformes successives de la Sécu remettent en cause la gouvernance du départ, pour donner le rôle principal à l’Etat, à travers la loi de financement qui fixe les orientations de sa politique et les objectifs pour son équilibre financier. Le « commun », c’était fini, car inacceptable pour les classes dirigeantes !

Le système n’a pas manqué d’attaques au fil des dernières années, mais c’est encore trop pour la bourgeoisie, qui ne manque de dénoncer son prétendu « coût » qui briderait la « compétitivité » de notre économie.

2. La contre-réforme des retraites de Macron, c’est « travailler plus longtemps pour une retraite plus faible ».

Son projet de 2019, prétendu égalitaire, ouvrait directement la voie aux fonds de pension, mais les grandes mobilisations populaires ont eu raison de ce hold-up.

Il revient à la charge aujourd’hui en brandissant le risque financier qui remettrait en cause le système de répartition de la Sécurité sociale. Pourtant, le rapport 2022 du Conseil d’orientation des retraites (COR) ne partage cet avis : « les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites ».

Le point commun des deux projets, c’est de travailler davantage pour une retraite plus faible. C’est ainsi que l’âge légal de la retraite serait repoussé à 64 ans, et pour une retraite à taux plein, il faudrait avoir cotisé quarante-trois ans dès 2027 au lieu de 2035.

Pendant longtemps les ouvriers puis des salariés se sont battus pour réduire le temps de travail, qui touchait au début les enfants. En 1936 le Front populaire instaure les congés payés et la semaine de 40 heures, mais cette durée ne tiendra pas longtemps. Elle sera rétablie à la Libération mais, dans les années qui ont suivi avec la période de croissance, la conquête sociale se porte plutôt sur les salaires, la réglementation des heures supplémentaires ou l’allongement des congés payés (la troisième semaine est acquise en 1956, la quatrième en 1969). Et si la durée hebdomadaire de travail décline à partir de 1963, ce n’est qu’au début des années 80 que le principe des 40 heures, posé en 1936, devient une réalité. La loi « Aubry I », fixe la durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et au 1er janvier 2002 pour les autres. En 1982, sous la présidence de François Mitterrand, une ordonnance Auroux accorde la retraite à partir de 60 ans, pour 37,5 années de cotisation, au taux plein de 50 % du salaire annuel moyen.

Avec le tournant libéral, la bourgeoisie a obtenu l’annualisation des 35 heures et l’augmentation de l’âge du départ à la retraite. Cela continue avec Macron.

3. Une régression sociale, une attaque idéologique

La Sécurité sociale, créée à la Libération, n’est pas tombée du ciel. Pierre Laroque, qui a accompagné Ambroise Croizat, souligne un point important : « C’est (aussi) par défiance à l’égard de l’État, sur la base du sentiment qu’une représentation spécialisée plus proche des bénéficiaires sera mieux à même d’assurer la protection de l’individu et la satisfaction de ses intérêts. L’existence d’une telle représentation est dans la ligne des traditions mutualistes et syndicalistes ».

Effectivement, la Sécurité sociale a un statut particulier, qui la distingue des services publics. Elle s’inspire des formes de solidarité créées par la classe ouvrière dès les débuts du capitalisme, pour défendre ses droits face au patronat, comme la collecte des fonds pour les ouvriers en grève et leur famille à une époque où les conditions de travail étaient très rudes. Mais cette solidarité va bien au-delà des grèves,elle se multiplie dans des sociétés de secours mutuels, des coopératives de production et de consommation, des caisses de prêt solidaire, gérées en auto-gestion. Un embryon de contre-société, pourrait-on dire. Les syndicats eux-même à la fin du 19ème siècle, apportaient aide et protection : en échange de leurs cotisations, les militants recevaient des secours en cas de chômage ou de maladie, mais aussi lorsqu’ils doivent se déplacer pour aller chercher du travail.

C’est ainsi que se constitue la classe ouvrière, qui prend ainsi conscience de ses intérêts et se politise. Elle saura le montrer au moment de la Commune.

Mais, de même que la Commune n’est pas morte dans nos esprits, nous n’oublions pas que l’esprit d’entraide des salarié.es est une arme contre le capitalisme. Il était présent chez les gilets jaunes à plusieurs moments de leurs luttes, il n’est pas mort non plus. Il doit se manifester dans la lutte qui commence contre la réforme des retraites, dans les grèves à venir.

N’oublions pas non plus la résilience de notre société lors de la crise environnementale de la covid. Face à un gouvernement désemparé, les personnels des hôpitaux ont tenu de manière admirable dans des conditions très difficiles, les autres services publics ont tenu aussi, d’autres initiatives citoyennes se sont multipliées. Qu’aurait-on fait sans ces services publics ?

Tuer la Sécurité sociale, comme rêve de le faire l’oligarchie financière, n’est pas seulement s’approprier la gestion de plus de 500 milliards d’euros, c’est aussi effacer le souvenir de ce passé, c’est détruire une construction du peuple.

Nous sommes les héritiers de celles et ceux qui ont lutté pour leur émancipation et nous ne l’oublions pas. C’est ainsi que nous pourrons gagner et renvoyer le projet de loi de Macron dans la poubelle de l’histoire.

4. Pas de victoire sans justice sociale

Si nous rejetons le projet de Macron, nous ne pensons pas que le système de retraites d’aujourd’hui doit être maintenu tel qu’il est. Il présente de grandes inégalités qu’il faut supprimer.

Une inégalité majeure est celle de l’espérance de vie, dont on sait qu’elle est largement corrélée avec le niveau du salaire, qui détermine les conditions de vie et la qualité de l’environnement, et la pénibilité du travail. On a dans ce domaine des chiffres sans appel.

Entre les 5% les plus riches et les 5% les plus pauvres, l’écart est de 13 ans pour les hommes et de 8 ans pour les femmes. Le même constat vaut pour l’espérance de vie en bonne santé, qui, au demeurant, n’augmente plus depuis plusieurs années et qui est, en moyenne, de 64,1 an pour les femmes et de 62,7 ans pour les hommes. Mais, là encore, l’écart est très grand entre les cadres et les ouvriers1.

Concrètement, cela veut dire qu’avec la réforme Macron, les classes populaires ont peu de chances de profiter de leur retraite et que la retraite, loin d’être une seconde vie, est souvent l’antichambre de la mort. Comment peut-on supporter cela dans un pays « riche » comme le nôtre ? Au fond, ce sont les pauvres qui financent les retraites des riches ! Et que penser d’un gouvernement, porte-parole du MEDEF, qui mégote pour introduire la pénibilité dans l’âge de la retraite ! On retrouve là les « premiers de corvée », indispensables pour assurer le fonctionnement de la société en période de crise. Evidemment, cela soulève le problème des salaires, indissociable aujourd’hui des retraites.

Dans cette catégorie, on trouve une bonne partie de salarié.es nés à l’étranger, fortement représentés dans ces métiers. D’après l’Observatoire des inégalités de l’INSEE, les 2,7 millions de salarié.es né.es à l’étranger (10 % des salariés) sont particulièrement présent.es dans certains secteurs :  40 % des employé.es de maison, 28 % dans le gardiennage et la sécurité, 27 % dans le bâtiment comme ouvriers non qualifiés.

Les inégalités entre les femmes et les hommes, qui résultent du cumul de plusieurs facteurs : cantonnement souvent dans des métiers indispensables mais peu considérés (femmes de ménage, aides ménagères, caissières, hôtellerie-restauration…), carrières accidentées, temps partiel, ce qui ramène leur salaire moyen 22 % en-dessous de celui des hommes (source INSEE 2019) – signe d’un patriarcat toujours bien ancré dans notre société. Cela conduit la pension de retraite moyenne à un niveau inférieur de 28 % à celle des hommes, et de 41 % lorsqu’on ne prend pas en compte les droits de réversion.

5. Faire de la lutte pour les retraites le début d’une reconquête du pouvoir sur la vie

La croissance, telle que nous l’avons connue, ne peut plus constituer un horizon. Il faut aller vers une société plus sobre, économe en ressources, dans laquelle chacun.e pourra  « bien vivre », une société qui privilégie la valeur d’usage, qui rejette les grands projets inutiles et les traités internationaux comme le TAFTA ou le Mercosur, qui organise un aménagement du territoire privilégiant les circuits courts et réduisant les déplacements forcés. La production sera ainsi réorientée de manière démocratique, la collectivité décidera des besoins et des moyens pour les satisfaire. Cette transformation sera accompagnée d’une réduction drastique des inégalités.

Le niveau local est important pour favoriser la création d’activités autogérées utiles à la population, rechercher l’autonomie territoriale pour une partie de l’alimentation, expérimenter la gratuité, renforcer les liens et les solidarités intergénérationnels, participer à la vie de la cité. Plus proche des habitant.e.s, il permet de construire des démarches municipalistes portées par les collectifs d’habitant.e.s.

La réduction du temps de travail et son partage deviennent un axe stratégique de lutte.Elle sera rendue possible par la réduction des productions et des activités rendues inutiles, et permettra de consommer moins d’énergie et de réduire les émissions de gaz à effet de serre ainsi que les pollutions multiples – la pollution de l’air à elle seule tue près de 50.000 personnes par an ( l’État a été condamné en 2021 par le Conseil d’État à payer une somme record de 20 millions d’euros).

Semaine de travail plus courte, allongement des congés payés, abaissement de l’âge de départ à la retraite, permettent de réduire le chômage, notamment celui des jeunes. Cette réduction du temps de travail s’accompagne de l’augmentation du salaire minimum et de la création d’un salaire maximum, de l’égalisation des salaires entre les femmes et les hommes et du partage des tâches. Les richesses créées par le travail sont mieux partagées, libérant du temps pour des loisirs ou des activités librement décidées, non marchandes, pour les engagements.

Cette nouvelle vision du travail créera une continuité entre la vie « active » et la retraite, qui n’apparaîtra plus comme une rupture et qui rendra justice aux retraités qui, par leur implication dans la société, ne pourront plus être qualifiés de « charge » !

Le partage du travail et la réduction des tâches pénibles, l’augmentation du salaire minimum qui améliorera les conditions de vie, mettront fin au scandale des inégalités d’espérance de vie, notamment en bonne santé, qui font que les plus pauvres payent les retraites des autres.

La transformation écologique va pouvoir s’appuyer sur un système de retraites qui doit redevenir le « commun » qu’il était au départ, et qui peut et doit être amélioré dès maintenant pour une plus grande justice sociale, au-delà de la récupération des acquis des luttes passées. On peut ainsi proposer quelques pistes :

– prise en compte des périodes chômées, indemnisées ou non, dans le calcul des trimestres ;

– sur-cotisation des entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ou recourent aux CDD et temps partiels courts ;

départ à la retraite à taux plein avant 60 ans pour les métiers pénibles et pour les personnes actives qui n’ont aucune chance de retrouver un emploi ;

retraite plancher permettant de vivre décemment

retraite plafond (sans baisse du taux des cotisations, comme le fait Macron)

– élargissement de l’assiette des cotisations aux revenus financiers et aux dividendes ;

lutte contre la fraude aux cotisations des entreprises, qui pourrait ramener 21 milliards d’euros par an…

6. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire

La transformation écologique est un chemin vers une nouvelle société, qui aura renoncé au productivisme, où le travail ne sera plus une marchandise et aura perdu son caractère central, où la concurrence et la compétitivité auront cédé la place à la coopération et à l’entraide entre individus libres, où la technique ne sera plus là pour asservir le travail mais pour l’alléger et permettre au collectif de travail de se l’approprier.

Dans cette société, l’économie sera au service de la société, au lieu de la diriger, les hiérarchies auront perdu leur raison d’être, exit donc les « premiers de cordée » car la production sera vue comme une œuvre collective, et place à un partage des richesses produites sur une base égalitaire.

La période de retraite ne sera plus considérée comme une coupure, mais comme une contribution à la vie sociale sous une forme non monétarisée, la pension égale pour tou.te.s assurera à chacun.e une vie décente. Cette volonté redistributive n’était-elle pas déjà inscrite dans les principes fondateurs de la Sécurité sociale, « contribuer selon ses moyens, recevoir selon ses besoins » ?

Nous sommes toutes et tous concerné.es. La grève par procuration ne suffit pas, il faut bloquer la circulation des biens et des services. Laisser le poids de la résistance sur les cheminots et la RATP ou le secteur public préparerait une défaite. C’est à toute la population maintenant, salarié.es du public et du privé, retraité.es, parent.es, lycéen.nes, étudiant.es.. d’y aller Nous devons bloquer le pays jusqu’au retrait, car c’est de notre survie et celle des générations futures qu’il s’agit. C’est l’Heure de nous mêmes !

Le combat pour les retraites, à la lumière de l’enjeu écologique, est en réalité

UN COMBAT POUR L’EMANCIPATION.

LE PEUPLE UNI DOIT LE GAGNER !!

LE GOUVERNEMENT DOIT RETIRER SON PROJET!

Peps appelle aux manifestions du 19 et du 21 janvier

1D’après une étude de l’INSEE en 2003, l’espérance de vie à 35 ans sans problèmes sensoriels et physiques est respectivement de 34 et de 24 ans ce qui, pour l’ouvrier le porte à 59 ans. Et on parle d’un l’âge – pivot à 67 ans !