Contre la liquidation de Fret SNCF

Emploi, Climat, même combat !

Dans le monde du train, il n’y a pas que le transport de personnes qui souffre des fermetures de petites lignes et gares. Un autre drame social, écologique, économique et démocratique est en train de se dérouler sous nos yeux dans le transport de marchandises (fret) avec le démantèlement et la privatisation de Fret SNCF, premier acteur français du secteur.

En protestation, les syndicats cheminots (Sud Rail, CGT Cheminots, CFDT Cheminots, Unsa Ferroviaire) auxquels PEPS apporte tout son soutien ont lancé un ultimatum à la direction de la SNCF et au gouvernement en appelant à une première journée de grève le 21 novembre. L’intersyndicale demande notamment un moratoire sur le fret pour mettre en pause sa liquidation et rassembler tous les acteurs autour de la table. Si la direction n’accède pas à ses demandes, ce qui est très probable, alors une grève illimitée sera lancée le 11 décembre.

Sur les 5 000 salariéEs, 500 sont prévuEs d’être dispatchéEs au sein de filiales de la SNCF, les 4 500 autres seront employéEs chez Technis et Hexafret, les deux nouvelles entreprises privées qui vont remplacer Fret SNCF. Si aucun licenciement n’est à prévoir (pour l’instant), les salariéEs qui pour certainEs ont passé plus de 25 ans chez Fret SNCF n’ont aucune garantie sur la conservation de leurs droits sociaux, parfois chèrement acquis.

C’est d’autant moins assuré que la suite du « plan de discontinuité » qui a déjà conduit en 2024 à la revente de 30 % du trafic le plus rentable à des entreprises privées, prévoit en 2026 l’ouverture d’une partie du capital de Rail Logistics Europe (filiale du groupe SNCF dont fait partie Fret SNCF). Ce plan de discontinuité a été négocié par l’État avec la Commission Européenne pour éviter une amende de 5 milliards d’euros, somme que la France est soupçonnée d’avoir versée à Fret SNCF alors que le secteur était déjà ouvert à la concurrence. 

Le fret ferroviaire en perte de vitesse

Au-delà du désastre social, l’intersyndicale lutte aussi pour la sauvegarde et le développement du fret dont le trafic ne finit plus de chuter. Le volume de marchandises a diminué de 50 à 33 milliards de tonnes entre 2002 et 2018, et représente en France seulement 10 % du trafic total de fret, contre 18 % en moyenne dans toute l’Europe. Depuis vingt ans, ce sont 15 000 kilomètres de voies ferrées qui ont fermés ainsi que des milliers de gares, tandis qu’une partie du réseau ferré national est soumis à des partenariats public-privé.

Dans les années 1980, la France avait le réseau ferroviaire le plus étendu d’Europe, de 30 % supérieur à celui de l’Allemagne. Aujourd’hui, le réseau ferroviaire allemand est 2,3 fois plus dense que le réseau français (40826 km de voies pour une superficie de 357 000 km2, contre 27483 km et 551 000 km2).  Dans le même temps, le réseau autoroutier français a été multiplié par cinq depuis les années 1970. Des milliers d’embranchements permettant aux entreprises d’expédier leurs marchandises par train ont été supprimés sur tout le territoire, les transports ferroviaires n’arrivent plus dans des régions les plus délaissées du territoire, les plus difficiles d’accès. SNCF Réseau continue de fermer des dessertes, de déferrer encore aujourd’hui des lignes et de fermer des gares de triages nécessaires à l’exploitation du fret. On néglige trop souvent le coût humain mais aussi financier de l’insécurité routière, estimé selon les études de 46 à 70 milliards d’euros (1,9 à 2,8 % du produit intérieur brut, PIB) pour l’année 2021

Les raisons de ce déclin sont multiples, mais la commission d’enquête parlementaire créée en 2023 sur la libéralisation du fret ferroviaire « fait le constat d’obstacles persistants au développement du fret ferroviaire du fait des distorsions économiques, sociales et fiscales qui favorisent le fret routier ». Le rapport confirme les alertes des syndicats : « L’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire contribue fortement à son déclin ». Côté transport de passagerEs, le pire est encore à venir puisque l’ouverture à la concurrence débute tout juste avec pour l’instant seulement quelques lignes de TER opérées par des entreprises concurrentes de la SNCF. On pourrait pourtant suivre de près ce qu’il se passe au Royaume-Uni qui est aujourd’hui en train de renationaliser le secteur, 30 ans après sa totale privatisation et une hausse des prix de 27 % pour les usagerEs. Pendant ce temps, comme à leur habitude, les gouvernements de la droite macroniste aiment communiquer sur des plans qui ne seront jamais appliqués et faire l’inverse une fois l’effet d’annonce passé. La loi Climat et Résilience de 2021 qui prévoit de doubler en 2030 la part du fret ferroviaire dans le mix national en la montant à 20 % est aujourd’hui impossible à atteindre, et les 100 milliards d’euros d’investissement dans le ferroviaire annoncés par Elisabeth Borne se font toujours attendre. Le sous-investissement chronique est pourtant une des raisons principales régulièrement pointées du doigt par tous les acteurs du secteur.

Face à ces promesses, des mesures favorables au transport routier sont prises : autorisation de circulation des mega-camions dans l’UE, constructions de nouvelles autoroutes inutiles comme l’autoroute A69 Toulouse-Castres. D’autre part, en général les péages autoroutiers français pour les camions sont 2 à 3 fois moins chers que l’écotaxe Suisse. A rebours du temps et de l’espace, notre nouveau ministre du transport François Durovray veut même mettre le paquet sur le transport routier et a annoncé son plan « Car Express » de développement du bus. En France, on adore la bagnole, mais aussi le bus et le camion. En matière de transport, l’argent public devrait avant servir à améliorer l’exploitation du réseau ferré existant à travers un système de réservation des capacités de fret plus flexible, une généralisation du système de signalisation automatisé. En Suisse il circule 15000 trains par jour autant qu’en France mais sur seulement 3265 km de voies. Nous avons un important retard à combler sur le nombre de circulations quotidiennes par km de ligne aussi bien pour les passagers que pour le fret.

Un désastre écologique aux enjeux stratégiques

Les privatisations inefficaces, le sous-investissement, les nombreuses lois et subventions qui favorisent une concurrence déloyale du transport routier montrent bien que le dépérissement du ferroviaire est un choix politique délibéré et n’est pas une fatalité. En Allemagne et en Suisse où les investissements nécessaires pour l’entretien et le développement du réseau sont fait, le train représente respectivement 23% et 38% du fret national (74% pour le fret transalpin pour la Suisse).

Il est aujourd’hui aberrant de continuer cette politique de diminution du réseau ferré qui ne cesse de perdre des kilomètres et gares chaque année, notamment dans les petites villes. Le transport constitue la première source d’émission de CO2 en France avec 32 % du total, et le fret ferroviaire émet entre 7 et 13 fois moins de CO2/tonne.km que le transport par camion.

Si ce dernier s’est imposé, c’est aussi parce qu’il est moins limitant pour le développement des flux de marchandises, aussi bien en termes de quantité, de vitesse que de flexibilité. Mais a-t-on toujours besoin de transporter toujours plus, plus loin et plus vite alors que la préservation de la planète devient un enjeu majeur ? Le fret soulève donc également la question des limites à la croissance sans fin du productivisme.

En parallèle du déclin délibéré du train, on assiste en effet à une explosion du monde logistique. La longueur du réseau routier a été multipliée par dix depuis les années 1960 et interconnecte plus de 5 000 entrepôts qui maillent le pays. Aux portes de Paris, la résistance s’organise contre le projet Greendock. Ici l’argent public pleut sans limite : 140 à 825 millions pour la RN2 dans l’Aisne, de 227 à 450 millions pour la liaison Fos-Salon, de 54 à 293 millions pour l’A63 au sud de Bordeaux, de 97 à 260 millions pour la RN13 en Normandie, de 450 à 770 millions pour la RN147 entre Poitiers et Limoges. C’est pourquoi il faut acheminer les marchandises au plus près des territoires via le train. Cela impose de revoir intégralement la logistique du transport de marchandises routier, aujourd’hui uniquement guidée par les intérêts économiques à très court terme, ce qui conduit à un quasi‑monopole du mode routier. Il existe en France plus de 2 800 installations temporaires embranchées qui desservent des usines et des entreprises, dont seulement 1 000 sont utilisées. Pour développer l’usage du rail, il s’agit comme indiqué dans une récente proposition de loi, d’imposer que tout projet de construction d’une plateforme logistique prévoit son raccordement au réseau ferroviaire. En l’absence de plan de raccordement, l’autorité administrative compétente ne peut ni autoriser le projet ni délivrer le permis de construire. Le secteur de la logistique est aujourd’hui un des secteurs clefs du productivisme. Pour aider le financement du fret ferroviaire, il doit être taxé pour contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique. Interroger les flux de marchandises revient donc à réfléchir aux modes de production et leurs limites. PEPS ne soutient pas par exemple le projet de la nouvelle ligne LGV Lyon-Turin (coût de 30 milliards d’euros, soit 6 fois ce qui est nécessaire pour la sauvegarde de Fret SNCF), car les conséquences environnementales seraient désastreuses alors que la ligne existante permettrait d’ores et déjà de reporter l’équivalent des deux tiers des poids lourds actuels sur le rail.

Nous ne pourrons pas bifurquer vers un monde soutenable si nous ne diminuons pas notre production, tout en augmentant sa qualité : que voulons-nous produire, dans quelles quantités, et selon quels modes de décisions ? Si une chose est claire, c’est qu’en privatisant et donc en donnant tout le pouvoir de décision à des entreprises privées, ces réflexions resteront de belles idées sur le papier. Lutter pour la sauvegarde du fret en tant qu’entreprise publique, c’est donc aussi lutter pour le pouvoir de décision sur notre production industrielle.

Aux côtés des cheminotEs, PEPS se mobilise pour une politique alternative du fret qui respecte les droits et les statuts de salariéEs, renforce le service public et participe à la lutte contre le réchauffement climatique ! Améliorer l’infrastructure du réseau ferroviaire existant et son exploitation, encourager le transport marchandise par le rail, ne pas le livrer aux intérêts privés sont des revendications autant sociales qu’environnementales.

Pour un plan de développement du fret ferroviaire public SNCF, pour des modes de transport plus respectueux de l’environnement et pour un moratoire sur le plan de démantèlement de Fret SNCF, PEPS appelle à se mobiliser les 21 novembre et à partir du 11 décembre pour rejoindre les syndicats dans leur lutte qui est la nôtre.