PEPS met à disposition une tribune libre pour partager des textes de réflexion inédits, proposés par des contemporains, afin de nourrir les idées et le débat autour de l’écologie populaire et sociale. Aujourd’hui, une contribution de Yves Frémion, membre de PEPS et co-fondateur de Ban Asbestos.
Jusqu’au bout la négation de l’évidence aura été protégée par la justice. Trois juges d’instruction viennent, le 24 février, d’ordonner l’abandon des poursuites pour « blessures et homicides volontaires » et « mise en danger de la santé d’autrui » dans l’affaire de l’amiante à Jussieu. Les plaintes des associations sont donc rejetées après des années de procédure où toutes les preuves – quoi qu’en disent ces juges partisans – ont été apportées, à la fois des dangers mortels de ce produit que de sa responsabilité dans les morts du site et les nombreux malades graves.
Selon la décision de ces trois juges, il ne serait « pas possible de relier le dommage à d’éventuelles fautes qui pourraient être imputées – de manière certaine – à des personnes ayant une responsabilité dans l’exposition à l’amiante ». C’est dire aux victimes et à leurs familles qu’ils ont attrapé des maladies (que seule l’amiante peut provoquer) en fumant ou en sniffant délibérément des particules. Mais une asbestose ou un cancer des poumons dont les alvéoles sont piquetées de fibres d’amiante, ça ne s’attrape pas avec du tabac.
Quant aux personnes responsables, toutes sont archi-connues : les fabricants, les installateurs, les commanditaires, plusieurs ministres de l’Education et les dirigeants successifs de Jussieu, les universitaires dont les travaux étaient payés par le lobby de l’amiante pour en dissimuler les dangers. Toutes personnes dont le réseau mondial anti-amiante, Ban Asbestos, a soigneusement gardé les déclarations négativistes, sur de nombreuses années, destinées camoufler des dangers parfaitement connus d’elles. Et de tous depuis un siècle.
Il s’agit donc bien d’une décision destinée à préserver ces intérêts privés et le juteux marché de ce produit (désormais interdit presque partout, mais qui a généré des fortunes), et qui tue encore 2 000 personnes par an en France. Alors que les survivants et leurs familles se battent encore aux côtés des associations pour des indemnisations décentes, la réponse judiciaire est : « Circulez, y a rien à voir ! ». Pas question d’augmenter le nombre de bénéficiaires à une indemnisation supplémentaire !
Trois juges viennent de bien rendre la justice « au nom du peuple français » – un peuple réduit ici à quelques cyniques industriels et décideurs irresponsables.
Yves Frémion
co-fondateur de Ban Asbestos