La tribune libre de PEPS : Les Nouvelles mobilisations écologistes contre la métropolisation : réflexion sur les Zads franciliennes

PEPS met à disposition une tribune libre pour partager des textes de réflexion inédits, proposés par des contemporains, afin de nourrir les idées et le débat autour de l’écologie populaire et sociale.
Aujourd’hui, une contribution de Merlin Gautier, étudiant et membre du comité d’animation de PEPS (Paris).

L’importance de la Marche des terres

La Marche des terres a fait converger les luttes franciliennes contre l’artificialisation des sols et l’extension urbaine. Il s’agit d’un moment fort tant à l’échelle régionale que pour les militants de chaque lutte qui ont pu se retrouver, et sentir leur force commune. L’Île-de-France, région du triomphe de la métropolisation, de l’urbanisation constante, du béton dévorant les terres jour après jour voit enfin s’organiser une résistance au quatre coin du bassin parisien. Saclay, Gonesse, Aubervilliers, Grignon, Val Bréon, Thoiry : les politiques d’aménagement des pouvoirs publics associées aux grandes entreprises butent sur la soif de vie des gens qu’ils privent de leur moyens de subsistance. L’absurdité de leur idéologie considère la terre comme une page blanche sur laquelle dessiner leur lotissements, centres commerciaux, technopoles, réseaux de transports. Ils ne prennent en compte ni les vies humaines, ni les vies non-humaines, leurs usages et leurs besoins.

Cette prédation urbaine sur les terres n’a pourtant aucune cohérence historique. Paris a depuis le Moyen-Âge trouvé son alimentation dans sa ceinture horticole est les plaines fertiles du bassin parisien. La puissance et la richesse de la capitale vient de son association avec les terres agricoles et le monde rural qui l’ont entourée. Les limons urbains ont au fil des siècles considérablement fertilisé les sols, formant une ceinture verte dont les récoltes excellentes ont garanti la richesse des rois de France et l’abondance de la ville bourgeoise. Même aujourd’hui, à l’heure où la France revendique un statut de première puissance agricole de l’Union européenne, l’Île-de-France est le fer de lance de cette stratégie avec une production agricole insolente pour un territoire si urbanisé et si petit géographiquement.

La métropolisation, une aberration

Ainsi, même dans la logique du capitalisme extractiviste, la perte de ces terres est une aberration. Ce que la région et la métropole nomment « intérêt général » n’est donc qu’une fuite en avant programmée depuis les spacieux bureaux d’une tour de verre. L’étalement urbain ne vise pas à accueillir plus de monde dans une région que fuient chaque jour ses habitant-E-s et qui laisse dormir sous les ponts du périph’ ceux qui y cherchent refuge. L’étalement urbain n’est qu’une manne financière par la spéculation immobilière pour la classe dominante. Il accompagne l’étalement de la gentrification, qui repousse toujours plus loin les classes dangereuses. On assiste à une sorte d’explosion au ralenti, dont l’épicentre est le cœur de Paris. La flambée des prix attaque la banlieue, et le souffle couvre de béton la grande couronne. Le grand Paris c’est un Paris muséifié, privatisé, au sein duquel les banques et l’Élysée seront bien au chaud, une banlieue « pacifiée » par la force, les grands travaux des jeux olympiques, et le parachutage de la classe moyenne dans des quartiers devenu « éco ». Le tout entouré d’îles-fonctions style La Défense ou Disney Land, avec des thèmes « Sciences », « Commerce », « Santé », etc. Tout sera bien rangé, centralisé au cœur de la centralisation. Et la contestation sociale éloignée, éparpillée, ne pourra plus perturber la machine Capital.

D’autres modes de vie sont possibles

Les luttes de Gonesse, Saclay, Aubervilliers, Val Bréon, Thoiry sont plus que des résistances ; ce sont des alternatives qui expérimentent, incarnent d’autres modes de vies possibles. Elles sont des expériences sur lesquelles pourrait se reposer une société cherchant à sortir du capitalisme. Elles constituent en ce sens des espaces révolutionnaires essentiels.

Le mouvement de reprises de terres s’inscrit dans un contexte national avec le départ à la retraite de la moitié des agriculteurs du pays et la possibilité de répartir autrement leur terre. Il s’agit soit de laisser se poursuivre la déshumanisation de l’agriculture et l’accaparement des terres par une poignée de coopératives et de propriétaires conventionnels, ou de permettre l’ouverture de l’agriculture à une jeune génération et des pratiques nouvelles respectueuses des humains et des non-humains.

Un tournant des luttes territoriales et environnementales

Cette mobilisation marque un tournant dans les luttes territoriales et environnementales, renforçant les liens avec le monde agricole non-conventionnel et se rapprochant des luttes pour la survie et le droit à une agriculture vivrière. Elle est un débouché pour de nombreuses personnes ayant trouvé un premier engagement dans les actions de désobéissance civile et les manifestations du mouvement Climat et d’Extinction Rebellion. Le Covid ayant stoppé net la dynamique de ces mouvements, les nouvelles zads sont devenues un moyen de continuer une lutte sans les contraintes sanitaires de l’espace urbain tout en concrétisant des volontés écologistes politiques par des pratiques de vie nouvelle pour beaucoup.

Les nouvelles Zads prennent position en périphérie de grandes métropoles : Paris, Toulouse, Nantes, etc. Cela est révélateur d’une confrontation plus directe avec la métropolisation et l’extension de l’artificialisation des sols, mais aussi d’une évolution du contrôle de l’Etat sur le territoire qui utilise de plus en plus les grands centres urbains pour asseoir son autorité et contrôler les modes de vie des habitant.E.s, en imposant la raréfaction de l’expérience de nature, la dépendance énergétique aux fossiles jusque dans l’alimentation et la tertiarisation du travail.

Face à ce capitalisme des capitales il est nécessaire de ne pas tomber dans l’extrême inverse et ne pas prôner d’illusoire destruction des villes à la Pol Pot ou à la Gengis Khan. Ces perspectives politiques ne sont que l’expression d’un malthusianisme mal dissimulé et extrêmement dangereux. Il est bien plus radical de bâtir des alternatives et de bloquer l’extension urbaine que de prôner son repli dans une quête de surenchère. Une société écologique est une société diverse dans les modes de vies et les modes d’habiter qui composent le territoire.

Merlin Gautier, étudiant et animateur de PEPS

Le 25 octobre 2021