« L’écologie populaire et sociale comme alternative à l’impasse de la social-démocratie », par Elise Lowy, Médiapart

L’analyse de notre camarade Elise Lowy, enseignante, co fondatrice de PEPS et membre du comité de rédaction de la revue EcoRev, parue dans Médiapart le 3 mai 2021.

La social-démocratie au pouvoir en ce 21ème siècle a objectivement méprisé les idéaux égalitaires, de liberté et de fraternité en faisant sienne le capitalisme vert et les lois liberticides. Plus fondamentalement, la social-démocratie s’avère incapable de répondre à deux crises consubstantielles de notre temps : la crise écologique et la crise démocratique.

La « social-démocratie verte », en refusant de s’affronter au capitalisme, ne peut répondre à la crise écologique, qui nécessite justement une remise en cause des bases mêmes du capitalisme intrinsèquement productiviste.
Elle prétend faire de l’écologie avec ceux-là même qui sont la cause de la destruction des écosystèmes (capitalisme vert, greenwashing…). Systématiquement, les contradictions apparaissent. En économie capitaliste, la combinaison des facteurs ressources naturelles, moyens de production et force de travail humaine a pour objectif l’augmentation des profits. En ce sens, une firme ne se demande pas a priori comment améliorer le travail ou ménager les équilibres naturels mais comment accroître ses profits. Cependant, arrivé à un certain point, Gorz montre comment, dans la situation d’une pollution telle, une firme peut avoir intérêt, pour simplement continuer à fonctionner, à investir dans la dépollution. Pour compenser l’intégration de cette contrainte écologique, la firme va chercher à augmenter ses prix de vente pour limiter la baisse du taux de profit. Résultat : la prise en compte des exigences écologiques engendre une hausse des prix plus rapide que celle des salaires. Le coût de la dépollution est alors prélevé sur les ressources des personnes, ce qui augmente la tendance à la crise ou à la récession. « Que voulons-nous ? Un capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques ou une révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et, par là même, instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature ? ».

Là où l’analyse de Marx en terme d’utilisation des ressources naturelles est plus proche de l’idée de « destruction créatrice » de Ilya Prigogine que de celle d’une dégradation de l’univers inéluctable façon Nicholas Georgescu-Roegen, plusieurs auteurs, dont James O’Connor ou Tim Stroshane vont tenter de développer cette seconde contradiction du capitalisme et vont souligner, comme André Gorz, le lien entre baisse du taux de profit et crise écologique. Tous posent ainsi qu’une écologie critique ne peut exister sans une « mise en question de la logique destructrice induite par l’accumulation illimitée du capital », comme l’écrit Michael Löwy.


La social-démocratie, engoncée dans la technocratie, s’avère tout aussi incapable de répondre aux revendications démocratiques nouvelles, sans lesquelles aucun changement  de système n’est possible. Une volonté politique doit rapprocher les centres de décisions, qui s’éloignent toujours plus, des citoyen.ne.s concerné.e.s. Aucune avancée démocratique réelle ne peut se faire sans remise en cause de la technocratie, notamment européenne, ce que la social-démocratie refuse systématiquement de faire, tout comme elle méprise les légitimes revendications démocratiques des Gilets jaunes, des ZAD, des quartiers populaires, dans un mépris de classe significatif. C’est pourtant l’idée d’autotransformation de la société (Castoriadis) qui est ici aussi essentielle.


Face à cette incapacité de la social-démocratie à prendre en compte les racines des crises écologique et démocratique, il s’agit de porter une écologie populaire et sociale assumant la rupture avec le capitalisme et la technocratie.
Ce n’est pas en remplaçant la social-démocratie par sa version verte qu’il sera possible de proposer un modèle de société écologique et sociale, anti-productiviste donc anticapitaliste. Croire en cette chimère conduit à reproduire les erreurs passées et prépare de nouvelles déceptions. Or, nous n’avons plus le temps pour de telles erreurs. Les inégalités sont extrêmes, la planète à bout de souffle. La pandémie de Covid 19 en est une parfaite et terrible illustration. Nous devons mettre en place urgemment une écologie sociale et populaire qui oeuvre pour les biens communs, un nouveau rapport au vivant, une reprise en main démocratique par les citoyen.ne.s. eux-mêmes… loin des technocrates et des capitalistes. Ils existent, ils ne sont pas abstraits, ils sont directement responsables de ce qui arrive. Il s’agit de les identifier comme adversaires, pas de les amadouer. Il y a leur écologie, en face il y a la nôtre. C’est une lutte. Il s’agit de l’assumer en la nommant et en la menant. Dans les pas de Walter Benjamin, considérons que la Révolution est le frein d’urgence. 

https://blogs.mediapart.fr/edition/cerises-la-cooperative/article/030521/dossier-mai21-social-democratie-fin-de-partie