Du 6 février 34 au 6 février 2024, pour un mouvement populaire antifasciste

90 ans nous séparent du 6 février 1934 et nous avons l’impression que l’histoire bégaie, que l’extrême droite est aux portes du pouvoir. Il n’est donc pas inutile de revisiter cet évènement qui fut le point de départ d’une dynamique populaire qui allait amener la création, la victoire et ensuite l’échec du Front Populaire.

Le 6 février intervient dans un contexte mondial marqué par les conséquences de la première guerre mondiale, la crise économique de 1929, la montée du fascisme en Italie et en Allemagne et du stalinisme en Russie Soviétique.

Les évènements du 6 février 1934 sont le point d’orgue d’une série de manifestations parisiennes orchestrées par les ligues d’extrême droite au cours du mois précédent sous le prétexte de la corruption illustrée par l’affaire Stavisky. Le 27 janvier, à la suite d’une manifestation particulièrement violente, le président du Conseil Camille Chautemps présente sa démission. Il est remplacé par Edouard Daladier qui décide de limoger le préfet de police de Paris Jean Chiappe, réputé pour son indulgence et sa connivence vis-à-vis de l’extrême-droite.

Les organisations les plus puissantes appellent alors à une grande manifestation de protestation programmée pour le 6 février, jour de la présentation par Daladier de son gouvernement à la Chambre des députés.

Plusieurs cortèges disjoints conduits par différentes ligues, mais aussi par des associations d’anciens combattants de droite comme de gauche, convergent vers la place de la Concorde et la Chambre des députés, au soir du 6 février. Dans la soirée, la manifestation tourne à l’émeute et l’affrontement avec les forces de l’ordre. 15 personnes trouvent la mort et 1435 autres sont blessées. Dans les jours et les semaines qui suivent, l’événement fait la une des journaux et réactive les clivages partisans.

En 1934, les ligues fascistes étaient nombreuses, organisées militairement et influentes politiquement. Elles étaient issues de la première guerre mondiale et les anciens combattants en étaient les troupes de combats. Parmi elles, les Jeunesses patriotes, comptent 90000 membres, Solidarité Française, les Croix-de-feu, créées en 1927  par le colonel de la Rocque, la fédération de la Seine de la Fédération nationale des contribuables, fondée en 1928, l’Union Nationale des Combattants (UNC), dont les idées sont proches de la droite compte 900000 membres. L’Association républicaine des anciens combattants (ARAC), satellite du Parti communiste français, appelle également ses troupes à défiler le 6 février, bien que sur un mot d’ordre radicalement contraire, puisqu’elle réclame « l’arrestation immédiate de Chiappe ! ».

La manifestation tourne à l’émeute sur la place de la Concorde, faisant 19  victimes civiles, 1 mort chez les forces de l’ordre et plus de 1000 blessés le soir même.

Le 7 février le gouvernement Daladier démissionne. La riposte ouvrière s’organise contre le fascisme en province. Elle va se développer les 9 et 12 février 1934. Dans les régions, les organisations de base syndicales, socialistes et communistes appellent à l’unité mais à Paris, le PCF, sur la ligne « classe contre classe », appelle à défiler seul le 9 février 1934 sous le mot d’ordre « des soviets partout ! » et refuse d’y associer les socialistes considérés comme des « sociaux fascistes » et des « sociaux traitres ».

Le 12 février pourtant la CGT appelle à la grève générale suivie par la CGTU dirigée par les communistes. A Paris une manifestation animée par deux cortèges arrive Place de la Nation. Le cortège socialiste et le cortège communiste arrivent face à face et c’est soudain la fraternisation au cri de « Unité, Unité d’action ! », « le fascisme ne passera pas ! » . C’est le début du Front Populaire qui deux ans après verra la victoire de la gauche et surtout la grève générale de juin 36 qui débouche sur les congés payés, les 40 heures, et d’autres conquis sociaux.

Pour nous, aujourd’hui, commémorer l’anniversaire de février 1934 a une signification précise. Les appareils politiques nationaux de la gauche sont dans une concurrence mortifère. Seule l’initiative unitaire antifasciste à la base et dans l’action peut sauver le pays de l’arrivée des néofascistes au pouvoir. Il faut construire un mouvement contre la fascisation et le néofascisme crédible en partant des leçons de cette histoire mais en l’adaptant à notre époque. Dans ce cadre l’écologie populaire a une bataille spécifique à mener contre les écofascismes (survivalisme, fascisme fossile, pureté de la race.). C’est ce que PEPS a commencé à faire avec sa brochure sur les écofascismes1.

Pour un mouvement antifasciste de masse

  • Le lien entre fascisme et racisme est indissoluble. Il prend sa source dans le racisme biologique, le génocide des peuples indigènes et la traite négrière. Il est fondamental de garantir le caractère antiraciste des luttes, leur ouverture à chacune et à chacun quelle que soit son origine, sous peine de voir les fascistes chercher à y prendre pied pour les orienter dans un sens nationaliste.
  • Anticapitalisme et antifascisme sont indissociables. Dans l’histoire, les fascistes ont toujours servi en dernière instance de dernier rempart de la bourgeoisie. La droite française après la grève générale de 1936 clamait « Plutôt Hitler que le Front populaire ». De nos jours, le RN et Reconquête dans des registres différents sont prêts à servir loyalement les Bolloré, Arnaud ou Bouygues. Mais plus profondément, les mutations du capitalisme entrainent un nouveau rapport au fascisme. Le despotisme, patronal s’est transformé. Le contrôle de la vie des salariés, sans précédent, leur harcèlement moral institutionnalisé comme l’a montré le procès de France Télécom à propos de la vague de suicides, la séparation entre la vie privée et le travail n’existe plus. Le management, du fascisme à la mondialisation, c’est comme l’a écrit l’historien Johann Chapoutot dans « Libres d’obéir », l’art de produire le consentement et l’illusion d’autonomie chez des sujets aliénés. Le transhumanisme, la géo-ingénierie l’Intelligence Artificielle accélèrent ce passage à un techno-fascisme dont un personnage comme Elon Musk est l’incarnation.
  • La lutte anti fasciste est une lutte internationaliste. Notre référence est le groupe Manouchian des FTP MOI, les Franc Tireurs et Partisans, immigrés juifs, italiens, arméniens, espagnols… qui luttèrent les armes à la main contre les nazis et les fascistes collabos de Pétain.

Nous sommes contre tout nationalisme dominateur même quand il se dissimule sous le vocable de souverainisme. La communauté terrestre n’a pas de frontières.

Le nationalisme c’est la guerre !

  • La lutte contre la fascisation du régime anticipe la lutte contre la prise de pouvoir néo fasciste. C’est contre la répression politique et sociale, pour la défense de nos libertés démocratiques que se forge lecombat antifasciste. La politique de Macron prépare la prise du pouvoir de Le Pen et la légitime.
  • La lutte contre le néofascisme est d’abord une lutte pour l’hégémonie, une bataille culturelle qui se développe sur tous les, terrains de la domination, (contre le patriarcat, le racisme d’État, le validisme …), de l’aliénation, de l’exploitation.

Dans ce cadre la lutte pour l’hégémonie passe par une bataille médiatique contre la bollorisation des médias et la fachosphère qui doit être menée conjointement par les usagers des médias et les travailleurs de l’information..

  • La lutte antifasciste est une lutte par en bas et repose sur les mouvements sociaux. La lutte antifasciste se constitue à partir du niveau de la commune, du quartier, du village. Elle passe par la convergence des solidarités, la mise en place de l’entraide, la lutte pour les droits fondamentaux sociaux et écologiques Nous privilégions une stratégie de pouvoir populaire partant des mouvements sociaux comme instruments de changement et d’action sur la réalité. En matière d’antifascisme, ces mouvements construisent des luttes et des alternatives qui font obstacle à l’extrême droite. Ils refusent de chercher des boucs émissaires dans les classes populaires et désignent actionnaires, propriétaires, bailleurs et patrons comme les classes dominantes réelles.

Ils mettent en avant d’autres valeurs : la solidarité avec la communauté terrestre et le vivant plutôt que la solidarité entre « français de souche«  et la préférence nationale; l’entraide plutôt que le ressentiment et la haine; le désir d’émancipation individuelle et collective plutôt que l’attachement à l’ordre; la responsabilité collective plutôt que le culte du chef, l’écologie plutôt que le productivisme,…

  • ll y a un combat antifasciste spécifique à mener : idéologique, politique, militant. Il faut refuser la banalisation des thèses réactionnaires, contre-argumenter, démasquer les faussaires.. Nous sommes partisan-e.s de l’unité la plus large, mais sur des bases claires, Un antifascisme social et populaire doit dépasser les professions de foi républicaines et morales d’une part, et d’autre part l’activisme affinitaire de l’entre-soi trop souvent mené par les Antifa.

Il faut constituer, un peu comme dans les années 70 avec le Secours Rouge ou aujourd’hui avec les Soulèvements de la Terre, un mouvement politique de masse antifasciste où toutes et tous les militant-e.s encarté-e.s ou non peuvent trouver leur place.

  • ll faut se préparer à l‘autodéfense populaire contre les milices fascistes identitaires qui s’organisent autour de Reconquête et du RN.

Dans les derniers mois ils ont attaqué des réunions et ders manifestations, ont voulu mener des ratonnades dans des quartiers populaires contre les immigrés et les jeunes d’origine coloniale. Ils ont mené campagne contre des élus qui voulaient accueillir des réfugiés…

La coupe est pleine ! Il faut organiser l’autodéfense de nos espaces, de nos luttes, de nos quartiers, face aux agressions fascistes.

  • Notre stratégie celle du pouvoir populaire par en bas n’est pas contradictoire avec la construction d’un Front Populaire de Combat qui rassemble comme de 1934 à 1936, les organisations syndicales, lemouvement associatif et les partis de gauche.

De nos jours l’unitépopulaire passe par la construction d’un mouvement politique de masse antifasciste. La politique qui doit prévaloir sur tous fronts est celle qui répond à la nécessité de regrouper les forces et de frapper l’ennemi principal. Pour cette raison, l’union de toutes les forces destinées à affronter le néofascisme est fondamentale. Elle relègue au second plan les divergences qui séparent les diverses forces de la gauche et de l’écologie.

C’est pourquoi PEPS soutient l’appel des organisations syndicales qui ont décidé́ de se saisir de l’anniversaire de février 34 pour organiser une journée de débats et d’action le samedi 10 février 2024 pour porter fortement le combat contre les idées d’extrême droite et affirmer les revendications sociales et démocratiques. Toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la défense des droits humains, des libertés démocratiques, luttant contre le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie ainsi que toute personne se retrouvant dans ces combats doivent manifester le :

samedi 10 février à Paris 15H, Place de la République et partout en France.

FAISONS RECULER L’EXTRÊME DROITE et LE FASCISME EN MARCHE

DANS LA RUE ET DANS LES TÊTES

Edito de PEPS du 6 février 2024.

  1. « Comprendre, déconstruire, lutter contre l’écofascisme » : https://confpeps.org/comprendre-deconstruire-lutter-contre-lecofascisme-les-cahiers-de-formation-de-peps-n1/ ↩︎