La seconde Commune et la Révolte des quartiers: Propositions pour la construction du pouvoir populaire par en bas

La révolte de la jeunesse des quartiers populaires est une révolte politique.

Quand les commissariats sont attaqués, c’est la police et le racisme d’État qui sont mis en cause. Quand les mairies centrales sont mises à sac, c’est le pouvoir des maires qui est contesté.

Quand des écoles sont attaquées, c’est l’échec scolaire qui est pointé.

Quand les magasins sont pillés ce sont les inégalités sociales qui sont ciblées.

Quarante ans de politique de la Ville n’ont pas fait évoluer ce débat sur les banlieues.

A l’évidence, la politique de la Ville a échoué. Il s’agissait de rénover le bâti, de désenclaver lle quartier pour que les discriminations, le chômage et la misère disparaissent comme par enchantement. L’État enterrait la révolte en changeant les ascenseurs sans davantage les entretenir et en peignant en vert les immeubles gris du logement social. Cette stratégie n’a pas fonctionné, et quarante ans après les révoltes de Vaux en Velin et la Marche pour l’égalité, nous en sommes au même point. Les politiques paternalistes et sexistes des « grands frères », les stratégies successives de récupération politique des mouvements de « jeunes de banlieue », les logiques politiques locales clientélistes vis-à-vis de la jeunesse issue de l’immigration sont autant d’éléments qui ont participé́ à alimenter un sentiment de mépris social et racial.

Pourtant aux dernières élections municipales des listes citoyennes ont émergé dans de nombreuses communes populaires pour contester la répartition du pouvoir dans ces villes et l’invisibilité des raciséEs. Quand elles sont portées par des descendantEs de l’immigration postcoloniale ou des personnes perçues comme musulmanes, elles ont été fréquemment qualifiées de « listes communautaires ». Dès lors, alors que dans ces mêmes communes la redistribution des ressources allouées par la commune ne concerne pas de manière égale les différents quartiers, le ressentiment lié à l’accumulation des inégalités sociales et environnementales s’accroit.

La situation des quartiers pauvres n’est que le résultat de mécanismes qui se jouent à l’échelle de la ville, en partant des quartiers riches, ces « ghetto du gotha » ! C’est par le haut du marché immobilier que se déploient les processus de spécialisation, avec des mécanismes d’éviction qui se diffusent des quartiers riches vers les quartiers mixtes et, en bout de chaîne, vers les quartiers pauvres.

Si on veut lutter contre la ségrégation, il faut considérer qu’il y a des zones à défendre dans ces quartiers populaires. Elles ne sont pas du même ordre que celle installée à Notre-Dame-des-Landes mais, ici aussi, il y a des jardins ouvriers menacés et des arbres abattus. Il faut partir de là, des besoins et du vécu des classes racisées et populaires.

Eux aussi se demandent comment respirer alors que leur environnement est massivement pollué. Eux aussi se demandent comment bien se nourrir alors qu’ils subissent de plein fouet l’agrobusiness et que la nourriture envoyée dans les quartiers est le plus souvent du poison.

Nous devons sortir d’une approche morale et bourgeoise qui jugerait les comportements des classes populaires et construire avec les personnes concernées des propositions qui améliorent le rapport de force des classes populaires. Notre stratégie repose sur le pouvoir d’agir des citoyens et sur la reconnaissance des collectifs, Elle interroge le fonctionnement politique et institutionnel, et elle devrait accompagner la démocratisation de la démocratie représentative par le droit de vote des populations étrangères aux élections locales, un des préalables à la possibilité pour les habitants des quartiers populaires de peser sur la classe politique locale

Historiquement la commune a toujours été le ferment de la révolte. Au Moyen-Age ce sont les communes libres qui ont porté la révolte contre le féodalisme. Durant la Révolution Française, ce sont les communes qui, organisées en sections de « sans culottes » et en « clubs politiques », comme celui des « Girondins », qui ont été à la pointe de la lutte contre la monarchie. La Commune de Paris et celles de Lyon ou de Marseille en 1871 ont pris le relais contre la République bourgeoise.

Première proposition : renforcer l’auto-organisation collective et autonome des quartiers populaires, visantà créer un rapport de force avec les institutions,pour ne s’asseoir à la table des négociations qu’après avoir fait entendre sesrevendications par l’action collective (manifestations, pétitions, sortiesmédiatiques, etc.. . . )

Deux formes d’auto-organisation doivent être soutenues :

1°Le syndicalisme de quartier. L’exemple de « Pas sans nous« , qui réunit des associations visant à améliorer les conditions de vie dans les quartiers populaires, doit être encouragé tout comme l’action du DAL au niveau du logement, qui réunit mal logés et locataires. De même le « community organizing« , prôné par l’Alliance Citoyenne, entretient toujours un rapport conflictuel aux institutions et aux élus. La règle d’or du « community organizing » est « qu’il ne faut pas faire pour les gens ce qu’ils peuvent faire par eux-mêmes« , à la fois à construire symboliquement l’unité des quartiers. Il faut pour cela partir des problèmes soulevés par les habitants, tels le logement, l’emploi ou la discrimination – qui se trouvent aujourd’hui au cœur de

« l’économie morale des banlieues françaises«  mais sont peu pris en charge collectivement. L’alliance et la politisation des espaces d’agrégation existants dans les quartiers populaires – centres sociaux, lieux de cultes, clubs de sport, associations, etc. –, de façon autonome des pouvoirs publics, pourraient contribuer à enrayer une spirale de marginalisation qui paraît sans issue.

2° Soutenir le nouvel antiracisme politique et les formes d’auto-organisation contre les violences policières. Nombre de collectifs de quartiers sont nés de lalutte contre le racisme systémique de la police qui s’est traduit par des dizainesde meurtres contre des jeunes noirs ou arabes. Ils essaient aujourd’hui de sefédérer nationalement. Issues du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues,plusieurs organisations comme le « Comité Adama« , le « Front des Mères« ,le« Front Uni de l’Immigration et des Quartiers Populaires« , ainsi que les« Comités Vérité et Justice » tentent d’organiser les jeunesissus de l’immigration post coloniale ou de trouver une forme de représentation politique comme le collectif « On s’en mêle« ..

Deuxième proposition : construire nos propres institutions par l’organisation de Zones à Défendre dans les quartiers pour organiser le sabotage de la gentrification

La gentrification signifie la dépossession des habitant-e-s de leurs quartiers et la colonisation de ces quartiers par les classes moyennes aisées. Que ce soit en les expulsant de leurs logements ou en développant des commerces qui leurs sont inaccessibles, cet embourgeoisement est une question démocratique. Qui aura le dernier mot sur le quartier ? Pour combattre la gentrification qui nous vole nos milieux de vies, il s’agit donc de politiser le problème.

  • S’organiser avec ses voisins pour contester les hausses de loyer, les démolitions d’immeuble ou les pannes d’ascenseur,
  • Faire en sorte que le quartier prenne soin de lui-même et satisfasse ses besoins propres,  
  • Se mobiliser pour arrêter ou rendre non-rentables les projets qui nous expulsent petit à petit de nos demeures,
  • S’impliquer dans les projets collectifs qui mènent la lutte à la gentrification.

Résister à la gentrification, c’est défendre un droit à la ville populaire, et ça passe aussi par la défense de tout ce qui y est produit et organisé comme les jardins ouvriers et les marchés populaires. C’est défendre le droit à la ville, créer des espaces de résistance, des collectifs et autogérés pour toutes et tous, qui permettent aux habitants de réinvestir leurs lieux de vies et de s’organiser de manière horizontale et solidaire.

De la même manière que l’on appelle à désarmer les outils de l’agrobusiness à la campagne, les méga bassines, etc. . .nous estimons qu’il faudrait saboter ce qui détruit l’environnement dans ces quartiers populaires : les outils de gentrification, les infrastructures qui bétonnent, les constructions liées aux JO qui sont une catastrophe sociale et environnementale, les milices de « sécurisation » payées par les bailleurs privés, la résidentialisation, la vidéosurveillance, la surveillance de voisinage, etc. Tous ces dispositifs relèvent de ce qu’on appelle la « prévention

situationnelle », qui crée des « espaces défendables », c’est-à-dire des espaces sécurisés, privatisés, opposant les uns aux autres. .

Lutter contre la gentrification, c’est aussi :

  • construire nos propres institutions de démocratie alimentaire comme les épiceries solidaires, les cantines populaires, les circuits courts comme certaines Amaps, et comme la vente directe dans les marchés de plein vent,
  • créer nos propres institutions de démocratie culturelle (salles de répétition, fanfares et chorales de quartier, cinémas, radios et télé libres…).

Il est important d’avoir des lieux pour fabriquer du commun.

  • – C’est favoriser toutes les expériences alternatives démocratiques et pérennes qui organisent la capacité d’agir des habitants, leur survie et leur lutte pour la vie et contre les inégalités sociales et écologiques .,

Dans ce cadre, réaffirmons, à la suite du syndicat Pas Sans Nous, de donner les moyens de l’interpellation citoyenne en soutenant la création d’espaces citoyens par les habitant.e.s des quartiers : les Tables de quartier ,expérimentées depuis 2014, en sont un des supports. Mais comme bien souvent dans la participation venant par les institutions, la prise en compte des besoins exprimés par les gens ne trouvent ni réponse concrète, ni de traduction politique. La politique de la ville tout comme les successions de politiques sociales ont échoué. Ces espaces d’interpellation seront aussi les lieux de coordination et de transversalité dans les quartiers de tous les collectifs et associations pour développer des actions et un projet commun permettant de développer le pouvoir populaire.

Troisième proposition : lutter contre le métropolisation par l’émergence d’un pouvoir populaire des habitants dans leurs quartiers

Aujourd’hui le métropolisation a détruit à la fois la ruralité et a souvent relégué les classes populaires à la périphérie des villes de banlieues. Elle se traduit par le fait que dans chaque ville de banlieue, le centre-ville décide pour les quartiers populaires.

Plusieurs raisons à cela, mais l’une est politique. Dans ces quartiers, le fait qu’y habitent beaucoup d’immigréEs n’ayant pas le droit de vote prive une part importante de la population du pouvoir électoral. Et, parmi les électeurs français, nombreux sont ceux qui, voyant leur situation ne pas changer et ceux qu’ils ont autrefois poussé au pouvoir les trahir, s’abstiennent. Résultat : trop de maires réservent les finances en priorité aux quartiers qui les élisent par rapport à ceux qui ne sont pas constitués par un stock d’électeurs suffisants et favorables. Souvent le foncier des quartiers populaires attire les promoteurs et la mixité sociale devient l’excuse pour démolir et reconstruire en limitant le logement social et très social, alors que dans le même temps les quartiers favorisés n’accueillent pas, voire diminuent le nombre de leurs logements sociaux.

Cette situation accélère le décrochage de ces quartiers et encourage la ségrégation.

Entre les quartiers pauvres et les quartiers riches, il faut donc redonner le pouvoir aux habitants de quartiers populaires et permette à ceux qui le veulent d’aller « populariser »» les ghettos de riches.

Poser la question du pouvoir communal, c’est le structurer à travers des leviers politiques. Bien sur, instituer des Assemblées populaires peut être utile pour préparer les futures élections communales. Mais, nous estimons que cette proposition n’est pas suffisante. Nous devons politiser la sécession qui s’est produite entre les quartiers populaires et les centres-villes en soutenant tout ce qui favorise la construction d’un pouvoir populaire des habitants. Certaines de ces propositions ne sont pas applicables dans toutes les situations. Mais elles permettent de construire un rapport de force favorable à l’empowerment des habitants.

Contester le système actuel du pouvoir communal : Plusieurs mesures d’urgence démocratique doivent être prises :

  • le droit de vote et d’éligibilité des étrangers extra-communautaires aux élections locales et régionales,
  • le tirage au sort d’une partie des membres des listes municipales, les Référendum d’initiative citoyens locaux

Élire des conseils de quartier. Les conseils actuels sont des groupes désignés et contrôlés par les maires. Il faut qu’ils soient élus et puissent avoir un pouvoir sur les projets d’urbanisme et d’aménagement tout en ayant une part importante du budget à leur disposition. Ces conseils doivent pouvoir s’organiser de manière autonome et se fédérer avec d’autres conseils de quartiers pour exercer un contre-pouvoir au niveau des communes, communautés de communes ou d’agglomérations et des métropoles.

Reconnaitre le droit à la sécession des quartiers populaires

Il faut examiner la proposition de pouvoir subdiviser le pouvoir dans les quartiers, le rendre appropriable par ses habitants. Une commune de 50.000, 100 000, 200.000 habitants est trop grande pour que les habitants des quartiers populaires puissent y avoir du pouvoir ; Il faut que le pouvoir soit assumé à la hauteur du quartier.

Aujourd’hui lorsque 5 villages de 500 habitants se regroupent ce sont 2500 habitants qui sont regroupés ce qui équivaut à une barre HLM ou de copropriété dans les quartiers populaire. Il faut que le pouvoir populaire puisse commencer à s’exercer par le bas donc que les habitants de ces quartiers contrôlent le pouvoir communal et non que ce pouvoir soit contrôlé par la nouvelle petite bourgeoisie urbaine des centres ville.

Nous devons dans cette perspective utiliser l’arsenal législatif existant. Il existe des mairies d’arrondissement dans certaines grandes villes et il faut plaider pour l’élargissement de cette possibilité. Et il est possible de défusionner une commune. La défusion des communes consiste en l’érection en commune distincte d’une ou plusieurs parties de la commune.

Il y a possibilité de défusion d’une commune définie par les articles L 212_2 à L212_ 12 du Code Général des Collectivités Territoriales pour les modifications de territoire communal avec des jurisprudences du Conseil d’État. La demande de suppression est subordonnée à la consultation de la population de la commune associée, appelée à se prononcer sur cette suppression, dans les conditions prévues à l’article L.2113-2, c’est-à-dire par la procédure de référendum communal. Cette procédure peut être enclenchée par le préfet s’il reçoit une demande du conseil municipal, ou une pétition signée par un tiers des électeurs inscrits sur la portion demandeuse.

Le vote est considéré comme favorable à la suppression si la majorité absolue des suffrages exprimés correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits se prononce pour la suppression.

À ce jour, ces situations sont très rares. Ce qui est politiquement intéressant dans cette dynamique c’est la politisation de la révolte des quartiers populaires. Constituer un comité pour une nouvelle commune dans un quartier populaire va permettre de mesurer la force et le pouvoir d’agir des habitants. Elle est complémentaire par rapport aux autres formes de construction du pouvoir populaire par en bas.

Le quartier dans ce processus de défusion devient une zone à défendre et à construire car la population peut dans ce processus s’imaginer une nouvelle commune : comment la gère t on différemment avec le contrôle populaire des habitants. Quelles vont être ses ressources ? Comment prend-on en charge les plus pauvres ? Les habitantEs vont devoir s’approprier toutes ces questions dans des assemblées populaires.

Reconnaissance des bio régions urbaines.

Le métropolisation doit être contestée dans son essence même. La bio région urbaine est un outil politique pour transformer le territoire en bien commun. Elle n’est pas délimitée une fois pour toutes. Elle regrouperait, des villages, des villes de tailles diverses en un assemblage territorial décentralisé, déconcentré et autogéré.

Chaque configuration écologico-géographique serait singulière, de même sa population,

La gouvernance territoriale serait au plus près des habitants, la bureaucratie et son pouvoir vertical disparaîtraient au profit de nouvelles modalités politiques collégiales et transversales. L’organisation thématique (le logement, la scolarité, les parcs et jardins, les transports, etc.) serait remplacée par quelques « maisons » aux activités écologisées :

  • la Maison des Temps qui harmoniserait les temps sociaux aux rythmes de chaque habitant, petits et grands, hommes et femmes, etc.,
  • la Maison du Mieux-Être qui soignerait les malades, veillerait à une alimentation saine de tous, etc.. . .,
  • la Maison de la Solidarité qui prendrait soin des plus fragiles, assurerait la redistribution des aides sociales, encourageait les coopérations,
  • la Maison des Gais Savoirs qui superviserait les écoles, les collèges, les lycées et les universités, les conservatoires, les centres d’apprentissage, les gymnases et stades, les musées, les lieux de création, etc.

Vive la Seconde Commune !

Vive le pouvoir populaire !

Justice pour les quartiers !

Edito de PEPS du 11 juillet 2023